Troubles du comportement alimentaire et gastrointestinaux : Détection et prise en charge

troubles alimentaires et gastrointestinaux

Les troubles du comportement alimentaire suscitent actuellement un intérêt croissant parmi les gastro-entérologues. Ils sont fréquents chez les individus souffrant de troubles gastro-intestinaux. Malheureusement, l’évaluation de ces troubles comportementaux est souvent sous-estimée, ce qui entraîne une prise en charge insuffisante. Lorsqu’un patient présente à la fois un syndrome de l’intestin irritable (SII) et un trouble du comportement alimentaire, il est primordial de détecter et d’évaluer l’origine du trouble alimentaire. Il est essentiel de déterminer si l’origine du trouble est primaire ou s’il découle du SII. Tous les patients présentant des symptômes chroniques gastro-intestinaux devraient être examinés pour détecter d’éventuels troubles de l’alimentation, qu’ils soient actuels ou anciens.

Détecter les troubles du comportement alimentaire primaires

Les troubles du comportement primaires sont malheureusement souvent sous-évalués. Le questionnaire de SCOFF en cinq questions est une aide au dépistage des troubles du comportement alimentaire. Deux réponses positives indiquent la présence d’un trouble du comportement alimentaire. Cependant, ce questionnaire ne permet pas de détecter les troubles d’évitement-restriction contrairement au test ARFID en neuf questions.

Les troubles alimentaires sont diagnostiqués selon les critères DSM-5. Ils se manifestent de différentes manières, allant des restrictions alimentaires aux comportements boulimiques ou aux comportements compensatoires.

·        Régime d’évitement-restriction 

La restriction alimentaire résulte de la perte d’intérêt pour la nourriture, de la diminution de l’appétit et de la crainte des conséquences négatives telles que la nausée, la douleur, les ballonnements, les distensions abdominales ou d’autres symptômes physiques. La principale motivation derrière cette restriction quand elle est primaire n’est pas la volonté de perdre du poids mais plutôt la peur de prendre du poids et l’appréhension de perturber l’état pondéral.

·        Comportements compensatoires 

Parfois désignés comme des comportements de purges, ces actions sont mises en place pour éviter une prise de poids ou pour maîtriser certaines sensations (telles que la sensation d’estomac vide, les ballonnements, ou une impression de distension). Ces mécanismes compensatoires englobent non seulement le vomissement ou la prise abusive de laxatifs et d’autres médicaments, mais également des comportements tels que le jeûne, la suralimentation compulsive, ainsi que d’autres pratiques extrêmes de contrôle du poids. Bien que la pratique régulière de l’une de ces formes de comportement compensatoire soit caractéristique de la boulimie mentale, elle peut également être présente dans d’autres troubles alimentaires.

·        Anorexie nerveuse

Elle se caractérise par une préoccupation excessive de la forme corporelle et du poids, entraînant des comportements alimentaires restrictifs sévères et une perception altérée du poids. Les personnes atteintes d’anorexie nerveuse ont souvent une peur intense de prendre du poids, même si elles sont en réalité en sous poids et peuvent avoir une image corporelle déformée, les menant à percevoir leur corps comme étant plus gros qu’il ne l’est réellement.

·        Boulimie nerveuse

Elle est caractérisée par des épisodes récurrents de consommation excessive de nourriture en un court laps de temps, accompagnés d’une perte de contrôle pendant ces épisodes. Les épisodes de boulimie sont généralement associés à des comportements compensatoires. Ces épisodes apparaissent au moins quatre fois par mois dans les 3 derniers mois.

·        Hyperphagie boulimique

L’hyperphagie boulimique est caractérisée par la consommation répétée de quantités de nourriture anormalement importantes (frénésie alimentaires). Elle est accompagnée d’un sentiment de contrôle et d’impression d’avoir trop mangé mais n’est pas suivie de tentative de compensation des excès alimentaires.

Les troubles du comportement peuvent être la cause ou la conséquence d’une maladie intestinale, il est du rôle du gastro-entérologue de les distinguer pour adapter la prise en charge.

Les troubles du comportement peuvent être la conséquence d’une maladie intestinale

D’un autre côté, les troubles peuvent être la conséquence des symptômes intestinaux où l’individu adapte son alimentation pour éviter les symptômes. Par exemple, les douleurs abdominales, les constipations et les diarrhées récurrentes durant l’enfance entrainent des troubles de comportement alimentaire chez les adolescents. Les troubles alimentaires sont courants chez les personnes atteintes du syndrome de l’intestin irritable (SII), de constipation chronique, de gastroparésie et de dyspepsie fonctionnelles.

Des recherches ont mis en évidence un lien entre maladie cœliaque et troubles alimentaires, suggérant que la maladie cœliaque peut déclencher ou aggraver les symptômes des troubles de l’alimentation. Une étude menée en Suède a ainsi révélé que les personnes atteintes de la maladie cœliaque avaient 1,46 fois plus de chances de développer une anorexie nerveuse. Plusieurs facteurs de risques de troubles alimentaires chez les personnes atteintes de la maladie cœliaque ont été identifiés, notamment l’âge, le sexe féminin, la durée de la maladie, l’indice de masse corporelle (IMC), la détresse psychologique, la dépression, les antécédents familiaux et le non-respect du régime sans gluten.

En ce qui concerne les maladies inflammatoires de l’intestin (MICI), bien que les traitements ne nécessitent pas toujours des régimes spécifiques, les symptômes gastro-intestinaux courants peuvent influencer le comportement alimentaire ou précipiter les troubles du comportement alimentaire. Ainsi, les adolescents atteints de maladies inflammatoires de l’intestin présentent un risque plus élevé de développer des comportements de contrôle alimentaire, tels que le jeûne ou le vomissement après avoir mangé, par rapport aux enfants en bonne santé.

Une étude[1] a d’ailleurs montré que 13% des personnes atteintes de MICI s’auto-évaluaient comme positives pour des troubles alimentaires et lorsque la MICI est active, le risque de troubles alimentaires augmente, avec des comportements d’évitement-restriction fréquents (prévalence 17% à 53%). Ces comportements semblent souvent motivés par la peur des symptômes gastro-intestinaux et sont souvent des régimes auto-initiés par les patients.

Au contraire, les troubles du comportement peuvent aussi induire des troubles fonctionnels intestinaux, des dysmotilités gastro-intestinales ou même provoquer un syndrome de l’intestin irritable.

La détresse gastro-intestinale se révèle fréquente chez les individus présentant des troubles du comportement alimentaire. Ces patients manifestent souvent des symptômes tels que les nausées, les douleurs abdominales, les ballonnements et la constipation. Les troubles du comportement alimentaire peuvent également influencer la motilité gastro-intestinale, conduisant à des retards de vidange gastrique et de transit colique. Ces symptômes sont notamment observés chez les personnes atteintes d’anorexie. Dans une étude rétrospective[2] avec 206 patients, 20% des patients anorexiques ont des troubles de dysphagie oropharyngé. Ces troubles se normalisent généralement avec la réalimentation.

Les troubles structurels gastro-intestinaux, tels que la dilatation gastrique aigüe, la dysphagie et des troubles de la motricité œsophagienne, ont également été signalés bien que leur prévalence et leurs mécanismes sous-jacents restent à élucider.

Le gastro-entérologue doit aussi discerner les troubles de restriction alimentaires des restrictions alimentaires bénignes

Distinguer les troubles de restrictions bénignes constitue un véritable défi, notamment lorsque l’alimentation restrictive en réponse à des symptômes gastro-intestinaux est une stratégie courante pour de nombreux patients et diverses pathologies. Dans la plupart des cas, pour obtenir suffisamment d’information pour détecter les troubles de restrictions alimentaires, le gastro-entérologue ne doit pas se concentrer sur le nombre de calories ou sur le volume de nourriture spécifique mais plutôt s’enquérir des habitudes alimentaires du patient, ces données étant plus adéquates.

Il est suggéré que lorsqu’une restriction est associée à une déficience psychosociale ou médicale, cela indique la présence d’un trouble de l’alimentation. Par exemple, les patients atteints de syndrome de l’intestin irritable qui ont suivi une phase de suppression d’un régime pauvre en FODMAP plus long que prévu ont décrit une peur considérable de manger, développant des difficultés à prendre leurs repas à l’extérieur, suggérant probablement un trouble d’évitement-restriction alimentaire.

Traitement des troubles du comportement alimentaire

Les traitements cognitivo-comportementaux sont couramment utilisés pour les adultes atteints de troubles alimentaires et sont fondés sur des données scientifiques. Cela implique des approches thérapeutiques telles que l’adoption d’une alimentation à intervalles réguliers, l’exposition aux aliments et aux situations de consommation, ainsi que la prise de conscience des troubles de l’image corporelle.

Actuellement, les approches psychopharmacologiques pour les troubles du comportement alimentaire sont rares et réservées au traitement des comorbidités psychiatriques notamment anxio-dépressives. Cependant, des essais randomisés ont montré que chez les adultes boulimiques, la prise de fortes doses de fluoxétine (inhibiteur sélectif de la recapture de sérotonine), est parfois recommandée en complément des traitements cognitivo-comportementaux.

D’autres études ont montré qu’une faible dose d’olanzapine, antipsychotique chez des adultes anorexiques permet de diminuer les pensées obsessionnelles de perturbation de l’image physique. L’olanzapine est le seul médicament ayant démontré aujourd’hui une efficacité pour favoriser la prise de poids chez les personnes souffrant d’anorexie mentale.

Vers une prise en charge holistique

Les gastro-entérologues jouent un rôle essentiel en dépistant les troubles cognitifs liés à l’alimentation mais ils ne possèdent pas toujours les compétences pour assurer une prise en charge complète (somatique et psychologique). Il est donc primordial qu’ils puissent travailler avec une équipe pluridisciplinaire spécialisée dans les troubles comportementaux.

La prise en charge holistique est primordiale mais ne peut être assurée seule, en particulier lorsque les troubles se superposent avec le contrôle de l’alimentation. Le gastro-entérologue se doit de collaborer étroitement avec une équipe multidisciplinaire composée de médecins internistes, diététiciens spécialisés dans les troubles de l’alimentation et des psychiatres, psychologues et de nutritionnistes.

Cependant, la problématique réside dans le fonctionnement actuel des soins, qui est segmenté et cloisonné, entravant ainsi la prise en charge psychologique des patients atteints d’affection gastro-intestinale et ayant des troubles du comportement alimentaire. Il serait bénéfique de pouvoir travailler en réseau afin de faciliter l’échange des ressources et parvenir à une prise en charge holistique. Cette approche permettrait de traiter simultanément la pathologie intestinale et les troubles du comportement alimentaire, optimisant ainsi les résultats thérapeutiques. Dans ce contexte, le gastro-entérologue pourrait jouer le rôle de chef d’orchestre, coordonnant l’ensemble de l’équipe multidisciplinaire pour assurer une prise en charge complète et efficace.

Ce qu’il faut retenir :

  • Les troubles du comportement alimentaire suscitent un intérêt croissant parmi les gastro-entérologues, surtout pour la prise en charge des individus avec des troubles gastro-intestinaux
  • L’évaluation des troubles du comportement alimentaire est souvent sous-estimée entraînant une prise en charge insuffisante
  • Pour les patients présentant un SII et un trouble du comportement alimentaire, il est crucial de détecter et d’évaluer l’origine du trouble primaire ou secondaire
  • Les troubles comportementaux alimentaires peuvent être la cause ou la conséquence de maladies intestinales : les patients présentant des troubles comportementaux alimentaire manifestent souvent des symptômes gastro-intestinaux et inversement, les maladies gastro-intestinales peuvent déclencher ou exacerber les troubles comportementaux
  • Les gastro-entérologues jouent un rôle essentiel dans le dépistage, mais une prise en charge complète nécessite une collaboration étroite avec une équipe pluridisciplinaire spécialisée
  • Le fonctionnement actuel des soins est cloisonné et segmenté ce qui entrave la prise en charge holistique efficace du patient.

Sources :
[1] E.Yelenich, E Truong Disordered eating body dissatifaction ans psychological distress in patients with inflammatory bowel disease. Clin Psychol Med Settings 2020
[2] Melchior C. Anxiety and depression profil is associated with eating disorders in patients with irritable bowel syndrome. Frons psychiatry 2020

Dr Guillaume Bonnaud, Médecin gastro-entérologue et hépatologue chef du pôle gastro-entérologie Branchet