Les biais cognitifs : comment les reconnaître et les appréhender ?

Les biais cognitifs

Que sont les biais cognitifs ?

Les biais cognitifs sont des mécanismes de pensée qui faussent notre jugement et influencent nos prises de décision. C’est une distorsion du traitement de l’information et du raisonnement.

Ils sont en partie la conséquence du fait que notre cerveau cherche dans son fonctionnement à économiser de l’énergie, à simplifier l’information traitée en tirant rapidement des conclusions en empruntant des chemins neuronaux connus, les plus courts, les plus directs possibles, les moins énergivores…. Ces chemins sont influencés par nos croyances et nos perceptions.

Ces raccourcis, dans un réseau de câblage complexe et vaste, bien qu’utiles pour naviguer dans un monde complexe, peuvent nous conduire à des erreurs de jugement, nous faire prendre des décisions irrationnelles, erronées.

Les neurosciences ont montré que ces biais cognitifs sont involontaires, inconscients, prévisibles, reproductibles et constants. Environ 250 biais ont été identifiés dans différentes catégories (attentionnels, de raisonnement, mnésiques, de jugement, etc…).

💡 La célèbre locution attribuée à Sénèque « L’erreur est humaine… » (« errare humanum est ») peut ainsi être très justement modifiée en « L’erreur est la norme », titre du premier chapitre de l’excellent ouvrage d’Isabelle Simonetto Votre cerveau vous trompe

Quelques exemples de biais cognitifs

Il existe une multitude de biais cognitifs, chacun influençant notre perception et notre comportement de manière différente. Par exemple :

  • Le biais de confirmation nous pousse à privilégier les informations à notre disposition qui confirment nos croyances préexistantes, notre expérience, notre vécu, en négligeant les informations qui les contredisent.
  • Le biais d’ancrage, ou « de point de départ », nous amène à nous accrocher fermement à la première information, à la première référence reçue ou disponible pour prendre des décisions, même si cette information est peu fiable ou non pertinente. Le cerveau est fainéant vous dis-je !
  • Le biais de genre, en médecine par exemple, qui nous pousse à penser que certaines pathologies sont liées au sexe : l’infarctus du myocarde chez l’homme, l’ostéoporose et la dépression chez la femme etc… Ceci a une conséquence de santé publique bien démontrée avec un retard au diagnostic et à la prise en charge de l’infarctus du myocarde chez la femme.

Ces biais ne sont pas seulement des curiosités psychologiques. Ils ont des implications profondes dans notre vie quotidienne, affectant des domaines aussi variés que la politique, l’économie, ou notre santé.

Focus sur la surestimation de soi

Ces biais cognitifs peuvent expliquer pourquoi nous avons tendance à surestimer nos propres capacités, à prendre des décisions financières irrationnelles ou à rester dans des bulles informationnelles (nos biais sont entretenus au sein de nos groupes, de nos réseaux de communication) qui renforcent nos points de vue. Nous n’aimons pas être contredits !

Ce biais cognitif a été bien décrit en 1999 par les travaux de David Dunning et Justin Kruger Spar, deux psychologues américains. Ils démontrent que, sur un sujet donné (grammaire, logique, jeux, connaissances…), les plus compétents ont une estimation correcte, voire légèrement sous-évaluée de leur niveau et que les moins compétents se surévaluent systématiquement. Ils viennent ainsi confirmer ce que Charles Darwin avait écrit à propos de l’Origine des espèces : « L’ignorance engendre plus fréquemment la confiance en soi que ne le fait la connaissance ».

👉 Une évolution perverse de ce biais cognitif est le « comportement qui consiste à donner son avis sur des sujets sur lesquels on n’a pas de compétence crédible ou démontrée » : l’ultracrépidarianisme, terme réapparu à l’occasion de la pandémie de COVID-19 sous la plume d’Etienne Klein dans Le goût du vrai.  

La prise de conscience de ces biais est le premier pas vers leur atténuation. En ayant connaissance de ces raccourcis que notre esprit emprunte, de ces biais, nous pouvons faire les efforts nécessaires pour penser et analyser de manière plus rationnelle et avec un esprit critique. Cette prise de conscience nous permettra de remettre en question nos prises de position initiales, d’aller chercher volontairement des informations contradictoires et de prendre le temps de considérer l’ensemble des options possibles avant de prendre une décision.

Cependant, rappelons-nous que la lutte contre les biais cognitifs est un défi permanent. Notre cerveau est câblé pour utiliser ces raccourcis, ces chemins de la facilité et il faut un effort conscient et soutenu pour contrer cette tendance innée. La psychologie cognitive s’attache à proposer des outils de compréhension et de correction pour mieux comprendre et appréhender ces biais, dans le but d’améliorer notre jugement et de prendre de meilleures décisions pour nous-mêmes, nos proches, dans notre exercice professionnel ou pour la société.

💡 Ainsi, rappelons la locution complète de Sénèque « Errare humanum est, sed perseverare diabolicum »… persévérer (dans son erreur) est diabolique. Il nous engage à faire les efforts nécessaires pour essayer de corriger nos biais cognitifs. 

Quid des biais cognitifs dans l’exercice médical ?

En effet, dans certaines situations professionnelles ou domestiques, ces biais cognitifs peuvent avoir des conséquences parfois graves et dommageables. C’est le cas en particulier en médecine où les biais cognitifs peuvent mener à des erreurs diagnostiques ou thérapeutiques (erreurs médicales, évènement indésirable grave, mauvaise gestion des soins, errance diagnostique, augmentation des coûts de santé), mais également toucher les équipes médicales et paramédicales (stress, conflits, absentéisme, burn-out).

Exemples

  • Le biais de confirmation : le praticien ou le chercheur va chercher et interpréter des informations de manière à confirmer ses hypothèses initiales, négligeant les données, les études, les hypothèses qui pourraient remettre en question ou infirmer son diagnostic, ses conclusions. Les conséquences sont une erreur ou un retard diagnostique, une mauvaise prise en charge thérapeutique, une fausse route en recherche thérapeutique.

➡️ Dans l’effet de halo, ou effet de contamination, une caractéristique d’un individu ou une situation clinique oriente l’évaluation globale que l’on s’en fait. Autrement dit, une situation jugée positive à propos d’une personne a tendance à rendre positive l’idée que l’on s’en fait.

Ainsi, les opinions, les avis antérieurs au vôtre concernant un patient (un dossier…) peuvent influencer de manière disproportionnée la perception que vous aurez de la situation clinique de ce patient. Vous êtes influencé et le risque existe de proposer une analyse biaisée.

  • Le biais de disponibilité : les médecins peuvent surestimer la probabilité d’un diagnostic en fonction de la disponibilité et de la facilité avec laquelle des exemples « similaires » lui viennent à l’esprit. Il est influencé par des cas cliniques récents ou marquants, mais pas nécessairement représentatifs.

Comment atténuer l’impact des biais cognitifs ?

Pour atténuer l’impact des biais cognitifs en médecine, mais cela s’applique à d’autres sphères professionnelles et extra-professionnelles, plusieurs stratégies peuvent être employées :

Former et sensibiliser 

Éduquer les professionnels de santé au sujet des biais cognitifs et sur leurs effets potentiels est la première démarche à entreprendre. La prise de conscience est la première étape avant l’action correctrice.

Check-list et protocoles 

Utiliser des listes de vérification et des protocoles standardisés réduira la dépendance aux jugements intuitifs. Ces stratégies permettent de sécuriser la réalisation de tâches standardisées et validées pour des situations données.

Deuxième avis 

Encourager la sollicitation du deuxième avis, par le praticien ou par le patient, pour les cas complexes ou inhabituels, ou pour des cas simples mais survenant dans un environnement inhabituel (stress, changement de lieu, relationnel difficile, mauvaise intuition…). Il a été largement montré que le deuxième avis aide à identifier des erreurs de jugement et améliore la pertinence des soins, en particulier dans les domaines de l’oncologie ou des pathologies à enjeux fonctionnels.

RMM, débriefing 

Organiser des sessions de débriefing et de discussion de dossiers, des RMM, des retours d’expérience pour discuter ouvertement des erreurs et des succès. Elles permettent de favoriser la prise de conscience des erreurs possibles.

👉 Vouloir ou croire pouvoir éliminer complètement les biais cognitifs est une illusion et n’est pas possible… sauf à être coupable du biais de supériorité (inutile de vous en dire plus) ! En revanche, une approche proactive envers ces biais peut grandement diminuer leur impact négatif sur votre quotidien et votre pratique médicale.

Voici les premières clefs vers la réussite : 

  • Faire preuve d’humilité, remettre en question ses jugements et ses prises de position
  • Avoir un esprit critique toujours en éveil envers les situations rencontrées, envers les autres et surtout envers soi-même
  • Lutter contre l’impulsivité, prendre le temps d’analyser les situations rencontrées
  • Toujours envisager les options alternatives lors d’une prise de décision
  • Appréhender et analyser le contexte, faire preuve d’empathie et envisager la situation du point de vue de l’autre

Enfin, rappelons que ces biais cognitifs subissent des influences extérieures et intérieures néfastes. Ainsi, les émotions, le stress, la fatigue sont des facteurs internes qui peuvent aggraver les biais cognitifs.

La surcharge de travail, les distractions (réseaux sociaux, téléphone mobile, bruit, sollicitations) et le manque de données sont les facteurs extérieurs qui aggravent les biais cognitifs. 

Dr Frédéric Sailhan, chirurgien orthopédiste et chef du Pôle Chirurgie orthopédique Branchet

Publié le 27 février 2024