S’il est bien un principe sur lequel les professionnels de santé mais également les autorités judiciaires ne dérogent pas, c’est bien le sacro-saint secret médical. Retour sur les Arrêts de la Cour d’Appel d’Aix en Provence des 26 septembre 2024 et 10 et 24 octobre 2024
Les bases juridiques du secret médical
Ce principe édicté au visa des articles L 1110-4 et R 4127-4 du Code de la Santé Publique rappelle ainsi d’une part, le droit absolu et inaltérable du patient au respect de sa vie privée et du secret des informations le concernant dans le cadre de sa prise en charge par un professionnel de santé.
Ce droit s’impose dans toutes ses composantes au praticien (ce qui lui a été confié mais également ce qu’il a vu, entendu ou compris) ainsi qu’aux Établissements de santé.
À défaut, la violation du secret professionnel relève du droit pénal et peut être sévèrement punie d’un an d’emprisonnement et de 15.000 € d’amende.
Le secret médical : une évolution problématique ?
Au fil du temps, le secret médical – dont il n’est pas question ici de remettre en cause le bien-fondé – s’est hélas muté en Léviathan, écrasant les autres droits fondamentaux du justiciable, et tout particulièrement les droits de la défense et le droit à un procès équitable.
Il en va ainsi des Ordonnances de référé ordonnant une expertise médicale qui ont progressivement restreint les droits de la défense comme peau de chagrin.
Une situation déséquilibrée : les droits du patient vs les droits du praticien
L’exemple des ordonnances de référé
On pouvait découvrir le chef de mission de l’Expert libellé comme suit :
« Procéder, dans le respect de l’intimité de la vie privée et de manière contradictoire, à l’examen clinique de M. / Mme X, après s’être fait communiquer le dossier médical et toutes pièces médicales relatives aux examens, soins et interventions pratiquées, et ce par la victime ou tout tiers détenteur, mais dans ce cas avec l’accord de la victime. »
Cela signifie que le praticien devait obtenir l’autorisation préalable du patient pour communiquer son dossier médical à l’Expert.
En clair, le patient devenait maître du jeu et juge dans l’appréciation des pièces que les parties mises en cause (qualifiées de façon impropre par le Juge de « tiers détenteur ») pouvaient communiquer ou non à l’Expert…
Les conséquences pour la défense du praticien
Dans le pire des scénarios, le patient pouvait rester mutique, empêchant ainsi la communication des pièces du praticien nécessaires à sa défense, voire s’y opposer expressément !
En pratique, il est arrivé que le patient donne son accord pour une communication de pièces sur une période définie, et ce, afin de faire fi de son passé médical, et tout particulièrement de ses antécédents…
Une bataille juridique pour l’équilibre des droits
L’appel systématique pour préserver les droits de la défense
Ce déséquilibre manifeste entre les parties nous imposait de réagir.
Nous avons systématiquement interjeté appel de toutes les Ordonnances de référé restreignant la libre communication des pièces afin que les Cours d’Appel se saisissent de cette problématique et construisent une Jurisprudence uniforme respectueuse des droits de la défense.
Les arrêts clés de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence
Dans ses Arrêts des 26 septembre et 10 et 24 octobre 2024, la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence a mis un terme au suspense, portant le coup de grâce à la primauté du secret médical sur les droits de la défense.
Une décision historique pour les droits de la défense
La hiérarchie des droits fondamentaux
En premier lieu, la Cour a souligné que le caractère absolu du secret médical pouvait entrer en conflit avec le principe fondamental à valeur constitutionnelle des droits de la défense, constitué notamment par le principe d’égalité des armes résultant lui-même du droit au procès équitable, expressément stipulé à l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
La question qui se posait était alors de savoir si dans la « hiérarchie » des droits – si tant est qu’il y en ait une – le tout-puissant secret médical devait primer sur les droits ancestraux du justiciable.
La Cour d’Appel répond sèchement par la négative et s’en explique.
La production des pièces médicales et les droits de la défense
Pour la Cour, le fait de soumettre, ne serait-ce que potentiellement, la production de pièces médicales par le praticien, dont la responsabilité est susceptible d’être recherchée, à l’accord préalable du patient alors que ces pièces peuvent s’avérer utiles voire même essentielles à la réalisation de la mesure d’instruction et par suite, à la manifestation de la vérité, porte atteinte aux droits du praticien.
La Cour souligne le caractère excessif et disproportionné d’une telle atteinte au regard des intérêts protégés par le secret médical.
Une victoire pour l’égalité des armes
Une jurisprudence favorable aux praticiens
La Cour a ainsi réformé les Ordonnances querellées et a autorisé les praticiens à produire à l’Expert judiciaire toutes les pièces médicales en lien avec les faits litigieux, indispensables au bon déroulement des opérations d’expertise sans que puisse leur être opposé le secret médical.
Un signal fort en faveur de la manifestation de la vérité
Cette solution tant attendue clôt ainsi les débats dans un sens pleinement favorable aux praticiens dont les droits sont rétablis sur un même pied d’égalité que ceux du patient.
La Cour d’Appel envoie tout de même un signal fort en tempérant les effets du caractère absolu du secret médical et en le déniant même, dans un cadre certes encore bien défini, au profit de notions fortes telles que l’égalité des armes, la nécessité de pouvoir se défendre face aux allégations du patient et in fine la vertueuse manifestation de la Vérité.
Le secret médical se trouve-t-il affaibli ? Évidemment que non.
Mais il devra désormais savoir que sa place se trouve aux côtés des droits fondamentaux de la défense et non au-dessus.
Avocat au Barreau de NICE
Cabinet ESTEVE-RUA