Oubli de compresse : qui est responsable ?

compresse sterile

Après l’affaire de la pince de Halstead, c’est l’oubli d’une compresse dans la paroi intra-abdominale d’une patiente qui nous intéresse. Il aura fallu 11 ans pour repérer et retirer le textilome, après quoi s’en est suivie une bataille juridique opposant praticien et clinique.
 

Qui est responsable ? C’est l’éternel débat en exercice libéral… Le praticien est en effet responsable de l’opération, de l’ouverture à la fermeture mais l’infirmière de bloc opératoire (salariée de la clinique) assure le compte et le décompte des compresses… Le TGI de Lille a tranché le 30 mai dernier en faveur du chirurgien. Une fois n’est pas coutume, rappelons l’importance de souscrire à sa propre assurance responsabilité civille professionnelle pour éviter tout conflit d’intérêts avec l’établissement dans lequel on exerce. Retour sur les faits.
 

En novembre 2001, Madame X., alors âgée de 49 ans, souffrant d’obésité, bénéficiait d’une hystérectomie totale par laparotomie pour fibrome utérin, réalisée par le Docteur Y., chirurgien gynécologique et obstétrique, au sein d’un hôpital privé.
 

Onze ans plus tard, en avril 2012, dans un contexte de douleurs abdominales, un scanner, prescrit par le Docteur Z., chirurgien digestif, objectivait la présence d’une masse intra-abdominale pour laquelle une exérèse était réalisée quelques jours plus tard. Une cholécystectomie avec ablation du textilome ayant adhéré à l’intestin grêle était donc effectuée.
 

Les suites de cette intervention étaient simples sur le plan physique. En revanche, la patiente, ayant mal vécu la présence de ce corps étranger pendant toutes ces années, disait souffrir d’un syndrome dépressif en lien avec cet oubli.

Décision du 30 mai 2017 – TGI Lille

En novembre 2001, Madame X., alors âgée de 49 ans, souffrant d’obésité, bénéficiait d’une hystérectomie totale par laparotomie pour fibrome utérin, réalisée par le Docteur Y., chirurgien gynécologique et obstétrique, au sein d’un hôpital privé.

Onze ans plus tard, en avril 2012, dans un contexte de douleurs abdominales, un scanner, prescrit par le Docteur Z., chirurgien digestif, objectivait la présence d’une masse intra-abdominale pour laquelle une exérèse était réalisée quelques jours plus tard.

Une cholécystectomie avec ablation du textilome ayant adhéré à l’intestin grêle était donc effectuée.

Les suites de cette intervention étaient simples sur le plan physique. En revanche, la patiente, ayant mal vécu la présence de ce corps étranger pendant toutes ces années, disait souffrir d’un syndrome dépressif en lien avec cet oubli.

Dans ce contexte, une mesure d’expertise médicale était diligentée et à sa demande, à la suite de laquelle elle assignait en responsabilité et en réparation de ses préjudices le Docteur Y, ainsi que l’établissement de santé et sollicitait leur condamnation solidaire.

S’en suivait donc une bataille juridique entre le praticien et l’établissement reportant sur l’un et l’autre la responsabilité de cet oubli lequel était évidemment non contesté par les défendeurs.

D’un côté, nous soulignions naturellement que la responsabilité du praticien ne pouvait être engagée que pour faute et que le compte et décompte des compresses était assuré par l’infirmière de bloc opératoire diplômée d’Etat (dite IBODE), conformément aux dispositions légales, laquelle est salariée de la clinique.

Nous rappelions l’organisation d’un bloc opératoire et, partant, la compétence propre de l’infirmière dite « circulante » qui est le relais entre l’équipe opératoire stérile (et donc le chirurgien) et l’environnement non stérile, et à qui incombe le compte du matériel utilisé en fin d’intervention, avant que le praticien – qui ne peut se destériliser et ne peut donc compter les compresses – procède à la fermeture.

A titre subsidiaire, nous ne manquions pas de rappeler la jurisprudence récente opérant un partage de responsabilité à 50/50 entre l’établissement qui salarie le personnel infirmier et le praticien.

De l’autre côté de la barre, l’établissement nous opposait son argumentation habituelle tendant à démontrer que l’IBODE, salariée de la clinique, est placée sous la responsabilité directe du praticien libéral qui la dirige et contrôle et devient, le temps de l’intervention, préposée du chirurgien. Ainsi, quand bien même une faute du personnel infirmier serait établie, seule la responsabilité pourrait être retenue.

Aux termes de son jugement rendu le 30 mai 2017, le Tribunal de grande instance de LILLE opérait pour la première fois un revirement en la matière, et condamnait le praticien et l’établissement à réparer les préjudices subis par la patiente respectivement à hauteur de 35% et 65% ne faisant pas application de l’habituel partage à 50/50.

En effet, le Tribunal estimait que l’oubli de compresse ne constituait pas une situation imprévisible mais au contraire, une situation qui pouvait être facilement maitrisée par une simple opération de comptage. Ainsi, selon le Tribunal, en découle donc une obligation de sécurité dite de résultat.

Fort de ce constat, le Tribunal concluait à l’existence d’une faute du Docteur Y.

Néanmoins, pour appliquer ce partage de responsabilité 35/65, le Tribunal estimait que la faute de l’établissement est prépondérante dans la survenue du dommage puisqu’elle résultait d’une erreur de comptage des compresses par son personnel, alors que la défaillance du praticien consiste à « ne pas s’assurer que l’équipe mise à sa disposition bénéficiait des compétences techniques et de la formation optimale pour appréhender le risque litigieux ».

Le Tribunal précisait donc que cette opération de comptage, qualifiée par les juges de manière quelque peu rapide d’« intellectuement simple », n’impliquait pas un contrôle par nouveau comptage par le praticien, mais que cela ressort du contrôle exercé par l’employeur sur ses préposés au titre de la mise en œuvre d’une bonne pratique professionnelle.

Voilà donc, de façon légitime, la reconnaissance d’une responsabilité plus importante de la part de l’employeur de l’IBODE, en charge de la mise en œuvre des pratiques professionnelles découlant de la formation initiale ou continue de son personnel.

Une brèche est donc ouverte en la matière, nous laissant rêver d’une possible responsabilité exclusive de l’établissement dans un avenir plus ou moins proche…

Il est essentiel de souligner qu’un tel partage de responsabilité en faveur du chirurgien n’est envisageable que si le document de comptage de compresses, rempli par l’IBODE, comporte une erreur (par exemple 10/10 alors qu’il manque une compresse…).

Enfin, un tel résultat n’est envisageable que si praticien et établissement de soins bénéficient d’une défense autonome !…

Georges LACOEUILHE
Constance TRANNIN
Cabinet LACOEUILHE & Associés