Patiente agrafée

chirurgie gynecologique

Une patiente fait une hémorragie interne provoquée par une grossesse extra-utérine sur stérilet. Une salpingectomie est réalisée à la pince automatique, devant l’impossibilité de conserver la trompe très abîmée et très hémorragique.

Dans les années qui suivent, la patiente se plaint de douleurs abdominales. Elle consulte plusieurs praticiens et est opérée d’une myomectomie par coelioscopie.

Devant la persistance de ses douleurs, la patiente continue de consulter.

Elle va bénéficier d’une cœlioscopie exploratrice effectuée par un 3° praticien qui libère quelques agrafes de petit calibre au niveau du paramètre gauche (cicatrices de la salpingectomie).

Un examen anatomo-pathologique met en évidence un tissu conjonctif réactionnel au contact d’un matériel exogène correspondant à des agrafes métalliques. La patiente est réopérée et progressivement ne se plaindra plus de douleurs.

L’évidence n’est pas toujours la vérité

S’estimant victime d’une erreur médicale, elle assigne le 1° chirurgien qui a pris en charge sa grossesse extra-utérine et procédé à l’ablation de la trompe.

A la demande de la patiente, un Expert spécialisé en chirurgie gynécologique dépose des conclusions qui ne vont pas du tout dans le sens d’une erreur médicale…

Selon l’Expert la pose d’agrafes est une pratique fréquente et validée, et est sans lien avec les souffrances alléguées. En effet, l’étude du dossier révèle que la patiente souffrait d’une pathologie douloureuse pelvienne chronique bien avant l’évènement de grossesse extra-utérine.

L’Expert conclut que le praticien a donné des soins conformes aux règles de l’Art.

La « sagesse » aurait dû conduire la patiente à accepter ces conclusions. Que nenni !

Elle décide de ne pas en rester là car il lui parait évident que ces conclusions expertales sont erronées, estimant que l’Expert n’a pas voulu causer du tort à son confrère et reconnaître ce qui pour elle était une évidence : l’opération a été mal faite, « mal agrafée » et est forcément à l’origine de ses douleurs… Les agrafes laissées dans son corps lui ont causé un préjudice dont elle entend demander réparation (90 000 €).

Son Conseil assigne le gynécologue devant le Tribunal.

Pour la patiente, l’affaire est entendue, elle ne peut qu’être indemnisée.

Le gynécologue construit sa défense avec Branchet.

Bien évidemment, un débat s’instaure, par voie d’écritures couronnées par les plaidoiries de chaque défenseur.

Le Tribunal puis la Cour d’Appel ne vont pas avoir la même approche du dossier que la patiente, rejoignant ainsi notre argumentation.

En résumé pour les deux juridictions :

  1. Il ne suffit pas de critiquer un rapport pour le mettre à néant
  2. La patiente ne dispose d’aucun argument scientifique pour contrecarrer les conclusions d’un Expert dont la compétence ne peut être mise en cause, qui a respecté le contradictoire au cours des opérations d’expertise et a répondu aux dires des parties de façon circonstanciée
  3. Des douleurs pelviennes étaient préexistantes à l’ablation de la trompe et étaient documentées
  4. Lors de la 3° intervention, il a été procédé à la libération d’adhérences recto-sigmoïdiennes qui ont également pu être à l’origine de douleurs
  5. La technique utilisée lors de l’exérèse de la trompe a été réalisée au moyen d’une pince à suture automatique délivrant de fines agrafes qui ne peuvent être responsables de douleurs, d’autant qu’il existait un contexte de fibromyalgies.

Sur un plan médico-légal cela signifie qu’il n’existe d’une part aucun manquement à l’encontre du praticien et d’autre part aucun lien de causalité, ce qui met à néant tout espoir d’indemnisation pour la patiente.

L’affaire aurait pu en rester là sauf que la patiente invoquait également un autre argument qui peut toujours faire mouche … le défaut d’information !

Rappelons que selon l’article L 1111-2 du Code de la Santé :

« Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposées, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque postérieurement à l’exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d’impossibilité de la retrouver (…) Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser ».

Le contexte de grossesse extra-utérine, hémorragique, pouvant entraîner un risque vital et l’impossibilité de se soustraire à l’intervention exonérait le praticien de cette obligation d’information.

Toutefois selon la patiente, elle devait être prévenue de l’utilisation d’agrafes. Même si elle ne pouvait pas en être informée avant l’intervention, il fallait qu’elle le soit après.

En clair, faut-il informer le patient du matériel utilisé ?

Si on peut l’admettre pour des prothèses, va-t-on devoir faire une liste du matériel utilisé et laissé dans le corps du patient, telles que de fines agrafes ? Tel était l’argument inédit soumis aux juridictions. La Cour d’Appel de Montpellier a répondu par la négative.

La Cour a considéré que la pose d’agrafes ne doit pas faire l’objet d’une information particulière, s’agissant d’une pratique habituelle et validée.

Elle a rajouté que la patiente ne rapportait pas la preuve qu’elle aurait opté pour une autre intervention si elle avait eu connaissance de la pose d’agrafes, eu égard au caractère vital de l’intervention.

Enfin, si la patiente n’a pas été informée de la présence d’agrafes pendant plusieurs années, elle ne peut se prévaloir d’un défaut d’information puisque ses douleurs ne peuvent provenir desdites agrafes.

A l’instar du Tribunal, la Cour d’Appel a condamné la patiente à verser un dédommagement destiné à compenser les frais de procédure du chirurgien.

Finalement entre une patiente ingrate ou une patiente dans l’incompréhension totale, on aurait pu hésiter ; la Cour d’Appel n’a pas hésité. Elle a condamné.

Me Véronique ESTÈVE
Avocat spécialiste en droit de la santé