Contrôle d’activité chirurgicale : Interprétation de l’article de la CCAM

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La notion de lésions traumatiques multiples et récentes

Conseil d’Etat, 4ème section du contentieux chambre, arrêt n°432185 du 7 octobre 2020

Dans le cadre d’un contrôle d’activité, un chirurgien se voit notifier un indu d’un montant significatif pour avoir facturé 3 actes chirurgicaux au cours d’un même temps chirurgical, dans le cadre d’une prise en charge de lésions traumatiques « multiples et récentes » au sens de l’article III-3-B CCAM, touchant le plus souvent la main du patient.

Le contrôle retient 50 dossiers en anomalie et le contrôleur estime que le chirurgien a « volontairement multiplié des actes avec une volonté de fraude ».

Le chirurgien a pourtant respecté le principe de tarification dégressive (100 % / 75 % / 50 %) mais tel n’est pas le grief du service médical. Ce dernier stigmatise « une anomalie d’ordre général qui se rapporte à la facturation non-conforme de trois actes CCAM pour une même intervention chirurgicale alors qu’un maximum de deux actes peut être coté dans le cadre d’un geste chirurgical ». 

Le service médical considère en effet que les dérogations (a) et (b) du B de l’article III-3 du livre III de la CCAM sont cumulatives : selon elle, pour qu’un chirurgien puisse facturer plus de deux actes dans un même temps opératoire (en cas de lésions multiples) il faut qu’il intervienne sur au moins deux membres différents.

Le service médical en tire la conclusion – comme d’habitude pleine de nuances – que ledit chirurgien s’est livré à une fraude « massive et systématique ».

  • Par décision du 13 juillet 2018 : la section des assurances sociales du Conseil Régional de l’Ordre des Médecins (PACA) retient l’interprétation du service médical et de l’assurance maladie. Elle inflige au chirurgien contrôlé une sanction d’interdiction de donner des soins aux assurés sociaux pour une durée de 3 mois ferme, outre le remboursement des indus.
  • Par décision du 23 mai 2019 : la section des assurances sociales du Conseil National de l’Ordre des Médecins valide à son tour le raisonnement du service médical et de l’assurance maladie sur ce point et confirme les sanctions

Or depuis le début du contrôle, nous contestions absolument cette interprétation textuelle qui limiterait les possibilités de facturation à deux actes dans le cadre de lésions « multiples et récentes »,malheureusement sans être entendus.

Il convient de rappeler le texte de ce fameux « article 3 – B » :

Pour l’association d’actes techniques, le médecin ou le chirurgien-dentiste code les actes réalisés et indique, pour chacun d’entre eux, le code correspondant à la règle d’association devant être appliquée. Ces règles sont précisées ci-dessous et leurs modalités de codage sont décrites à l’annexe 2.

1. Règle générale

L’association de deux actes au plus, y compris les gestes complémentaires, peut être tarifée. L’acte dont le tarif hors modificateurs est le plus élevé, est tarifé à taux plein, le second est tarifé à 50% de sa valeur. Les gestes complémentaires sont tarifés à taux plein. Les suppléments peuvent être codés et tarifés en sus et à taux plein.

2. Dérogation

(a) Pour les actes de chirurgie portant sur des membres différents, sur le tronc et un membre, sur la tête et un membre, l’acte dont le tarif hors modificateur est le moins élevé, est tarifé à 75 % de sa valeur. 

(b) Pour les actes de chirurgie pour lésions traumatiques multiples et récentes, l’association de trois actes au plus, y compris les gestes complémentaires, peut être tarifée. L’acte dont le tarif, hors modificateurs, est le plus élevé est tarifé à taux plein, le deuxième est tarifé à 75% de sa valeur et le troisième à 50 % de sa valeur ».

Le service médical reprochait au chirurgien contrôlé d’avoir facturé trois actes cotés à la CCAM au cours d’un grand nombre d’interventions, au titre de la dérogation précitée, et alors que la situation clinique comportait des lésions traumatiques multiples et récentes. Le service médical concluait :

« Nous maintenons notre avis qui découle d’une lecture globale de l’article III-3-B et notamment de la dérogation du paragraphe (a) qui introduit la notion de sites anatomiques différents. »

Des lésions situées sur un même site…

.. mais justifiant des actes chirurgicaux distincts. Cette volonté de « relier » l’interprétation du paragraphe (b) aux dispositions littérales du paragraphe (a) menait à un sophisme spectaculaire puisque les dérogations (a) et (b) portent sur des situations tout à fait différentes et sans lien entre elles.  Le (b) ne vise en rien la localisation des lésions.

Notre position était donc que les lésions visées au (b) peuvent toutes être situées sur un même site et justifier plusieurs actes chirurgicaux distincts, distinctement facturables dans la limite de 3 actes.

La persévérance a du bon (et il en a fallu à ce chirurgien pour aller contre la jurisprudence identique des deux degrés de juridiction ordinale, et un service médical qui majorait ses demandes de procédure en procédure pour arriver à un préjudice de 292 000 euros !!).

Par arrêt du 7 octobre 2020, le conseil d’état a annulé les sanctions prononcées par le conseil national sur le moyen suivant :

Aux termes des dispositions du B de l’article III-3 du livre III de la classification commune des actes médicaux :

Pour l’association d’actes techniques, le médecin code les actes réalisés et indique, pour chacun d’entre eux, le code correspondant à la règle d’association devant être appliquée […]. Ces règles sont précisées ci-dessous […] :

1. Règle générale

L’association de 2 actes au plus y compris les gestes complémentaires peut être tarifée. L’acte dont le tarif hors modificateur est le plus élevé est tarifé à taux plein le second est tarifé à 50% de sa valeur.

2. Dérogations

(a) Pour les actes de chirurgie portant sur des membres différents, sur le tronc et un membre, sur la tête et un membre, l’acte dont le tarif […] est le moins élevé est tarifé à 75% de sa valeur

(b) Pour les actes de chirurgie pour lésions traumatiques multiples et récentes l’association de 3 actes au plus y compris les gestes complémentaires peut être tarifée. L’acte dont le tarif est le plus élevé est tarifé à taux plein le deuxième est tarifé à 75 % de sa valeur et le troisième à 50% de sa valeur » 

Il résulte de ces dispositions et notamment de celles figurant au (b) qu’en cas de lésions traumatiques multiples et récentes, l’association de 3 actes chirurgicaux au cours d’une même séance autorise la tarification de ces 3 actes, le plus élevé étant tarifé à taux plein le deuxième à 75 % de sa valeur et le troisième à la moitié de sa valeur sans que le droit de tarifer ses 3 actes ne soit subordonné à la condition prévue au (a) que les lésions en litige portent sur des membres différents. 

Par suite en jugeant que le docteur X avait méconnu ces dispositions en cotant l’association de 3 actes chirurgicaux accomplis au cours d’une même séance alors que ces actes ne portaient pas sur des membres différents, la section des assurances sociales a commis une erreur de droit.

Il convient de préciser que cet arrêt a été obtenu sous le ministère de Me Le Prado, notre excellent avocat habituel au Conseil d’Etat.

Les enseignements de cette décision sont techniques et stratégiques

  • En l’espèce, et dès lors que plusieurs gestes sont identifiables et distincts au sens de la CCAM, un chirurgien peut coter 3 actes sur un même site / temps opératoire, en respectant la règle de dégressivité. Une lésion qui porte à la fois sur un nerf, un muscle et un tendon par exemple relève bien de la notion de « lésions multiples » quand bien même il n’y aurait qu’une seule plaie.
  • De façon générale, ni les arguments et accusations très péremptoires du service médical, ni la jurisprudence des sections des assurances sociales ne doivent dissuader un professionnel de santé de faire valoir des arguments de droit : le conseil d’état est là pour veiller à ce qu’ils soient in fine respectés.

Il est certes tout à fait dommage d’avoir à saisir cette juridiction suprême pour avoir raison de la mauvaise foi du service médical mais à la longue, il ne faut désespérer de rien. La pugnacité des médecins obligera sans doute ce dernier à contrôler de façon plus objective.

Me Jean-François SEGARD