Radiologues : sinistralité et risque médico-juridique

Risque médico-juridique et sinistralité en radiologie

Les erreurs en radiologie sont extrêmement fréquentes. Leur nature et leurs causes sont variées. Il faut bien les connaitre pour mieux les prévenir. En cas de dommage pour les patients, ces erreurs peuvent engager la responsabilité des radiologues, les exposant aux risques de procédures amiables, judiciaires ou disciplinaires. Dans la grande majorité des cas, la démarche des patients est une réclamation à visée indemnitaire, soit dans le cadre d’une procédure devant la CCI (Commission de Conciliation et d’Indemnisation), soit auprès du Tribunal civil ou d’une juridiction administrative. L’effet de ces démarches est évalué par la sinistralité qui se définit par le taux de sinistres déclarés et leur taux d’indemnisation.

A travers cet article, nous aborderons la sinistralité des radiologues et sa possible évolution, compte-tenu du développement de la radiologie interventionnelle, du télédiagnostic, de l’intelligence artificielle (IA) et de la complexité croissante des dossiers qui génère un partage de responsabilité avec des médecins d’autres spécialités.

Cet article ne traite que de la responsabilité individuelle des radiologues dans leur exercice professionnel, en sachant que dans certains cas, la responsabilité de la structure de radiologie peut également être recherchée. 

Les erreurs et les accidents en radiologie

Les erreurs en radiologie sont fréquentes, bien documentées et leurs causes sont variées. Leur fréquence est difficile à déterminer avec précision en raison de variations méthodologiques des différents recueils de données. Quoi qu’il en soit, aucune étude n’a révélé un taux d’erreur inférieur à 4%. Il est important de les connaitre pour tenter d’en réduire le nombre et la gravité. En cas de dommage, ces erreurs peuvent engager la responsabilité des radiologues, les exposant aux risques de procédures amiables, judiciaires ou disciplinaires. La radiologie représente la 6ème spécialité médicale mise en cause.

Les erreurs diagnostiques

Les erreurs diagnostiques représentent les erreurs les plus fréquentes en radiologie (plus de 60% des réclamations). Elles se rencontrent avec toutes les modalités d’imagerie mais plus particulièrement avec le scanner et la radiographie standard. Les réclamations concernent principalement un cancer méconnu (sein et poumon notamment) mais il peut également s’agir d’une lésion traumatique ignorée ou d’un diagnostic par excès (faux positif) ou erroné conduisant à une intervention chirurgicale inutile. Ces erreurs résultent de la non-détection d’une lésion (erreur de perception) ou de sa mauvaise analyse (erreur d’interprétation).

Les erreurs de perception sont les erreurs diagnostiques les plus fréquentes (60 à 80% de cas). Elles se caractérisent sur le plan médicolégal par une lésion non identifiée par le radiologue mais jugée suffisamment visible et détectable rétrospectivement par le radiologue initial, ses pairs ou l’expert. Les anomalies subtiles et discrètes évoluant ultérieurement vers un processus pathologique avéré ne sont pas considérées comme des erreurs de perception. Les erreurs d’interprétation correspondent à des anomalies détectées mais dont la signification ou l’importance ne sont pas correctement comprises ou suffisamment prises en compte. Les causes profondes de ces erreurs sont nombreuses : conditions matérielles, erreur humaine, erreur de protocole, erreur d’identité du patient, charge de travail, problème logiciel et informatique.

Le radiologue peut être mis en cause en cas d’accident ou d’un défaut technique lors d’une procédure diagnostique (environ 10% des réclamations) : choc anaphylactique, arthrite septique, chute de table, extravasation de produit de contraste, fracture lors d’une mauvaise manipulation du matériel, brûlure en IRM, rupture de prothèse mammaire lors d’une mammographie. Les chutes de tables représentent à elles seules 4% des réclamations.

💡 Rappelons qu’en raison du lien de subordination entre le radiologue et le personnel paramédical de son équipe, le médecin répond des fautes commises au préjudice des patients par les personnes qui l’assistent lors d’un acte médical d’investigation ou de soins.

Les erreurs de communication

La responsabilité du radiologue peut être mise en cause en cas de défaut de communication avec le médecin demandeur de l’examen, conduisant à un retard de prise en charge et une perte de chance. Le radiologue se doit de réaliser un compte-rendu explicite, proposer une prise en charge adaptée (lorsque celle-ci relève de ses compétences) et alerter efficacement en cas d’urgence. Il est également responsable de la clarté et de la justesse des informations associées aux images (étage rachidien, latéralité).

Les erreurs de communication avec le patient se caractérisent principalement par l’annonce traumatisante d’un diagnostic et le manque d’humanité dans la mise à disposition des résultats d’imagerie.

En radiologie interventionnelle, les réclamations restent peu fréquentes (4% de l’ensemble des réclamations en pratique libérale) mais compte-tenu du développement exponentiel de cette pratique, il est très probable que la sinistralité augmente lors de ces prochaines années. La pratique radiologique peut se différencier en gestes interventionnels lourds (niveau II et III) s’apparentant à un geste chirurgical et ceux de niveau I, souvent réalisés en externe et parfois sans consultation préalable.

👉 De façon générale, la responsabilité du radiologue peut être mise en cause concernant le recueil du consentement du patient, le respect des indications, l’acte technique et le suivi au décours de la procédure.

Le recueil du consentement

Sur le plan médicolégal, la plus grande vigilance est apportée au recueil du consentement du patient. Celui-ci doit s’accompagner de la délivrance d’une information claire et loyale, orale et écrite, avec un délai de réflexion avant la réalisation de l’acte suffisamment long pour que le patient puisse mûrir sa réflexion (en règle générale supérieur à 48 heures). L’information écrite ne peut pas se substituer à l’information orale et elle ne constitue pas une décharge de responsabilité.

L’accident médical

L’accident pendant la procédure peut être non fautif (aléa) ou relever d’une maladresse fautive. Leur distinction n’est pas toujours aisée. Un accident est un aléa s’il existe une anomalie (prédisposition anatomique non décelée) rendant l’atteinte inévitable ou la survenance d’un risque inhérent à cette intervention qui ne peut être maitrisé, s’il n’y a pas d’alternative technique moins risquée et que l’accident est favorisé par l’état du patient.

L’accident médical non fautif grave peut être indemnisé par l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales) dans le cadre d’une procédure devant la CCI. La maladresse fautive est retenue en l’absence d’anomalie rendant l’atteinte inévitable, lorsque le risque n’est pas inhérent à l’intervention et peut être maitrisé en mettant en œuvre les moyens nécessaires en conformité avec les règles de l’art et les données acquises de la science. La responsabilité du radiologue est également engagée dans la gestion des éventuelles complications liées à l’acte, l’acheminement des prélèvements biopsiques et la communication des résultats.

💡 Le radiologue – chef de service – peut être mis en cause pour un défaut d’organisation ou de gestion de son service. Le radiologue s’expose à des sanctions pénales s’il a rompu le secret professionnel ou s’il ne s’est pas déplacé pour réaliser un examen nécessaire. Il encourt des sanctions ordinales en cas de non-respect du secret professionnel ou des règles déontologiques.

Une responsabilité partagée

La responsabilité du radiologue peut être partagée avec d’autres médecins, en ce qui concerne l’information au patient, la demande d’examen et son analyse. Les éléments suivants seront recherchés en cas de réclamation. L’information du patient incombe à tous les praticiens qui le prennent en charge. Elle pèse aussi bien sur le médecin demandeur de l’examen que sur celui qui le réalise. Ils doivent consigner dans le dossier médical ou le compte-rendu la nature de l’information dispensée.

La responsabilité est également partagée lorsque l’examen demandé est inapproprié ou trop dangereux au regard du bénéfice escompté. En cas de doute devant une demande d’examen, le radiologue doit contacter le médecin demandeur pour obtenir toutes les informations utiles. Le radiologue se doit en principe de refuser de pratiquer un examen qu’il juge non pertinent. Lorsque le radiologue réalise un examen sur la base des informations fournies par le médecin demandeur, la responsabilité de ce dernier peut être engagée, lorsque les informations transmises, notamment sur la demande d’examen, ne sont pas loyales et omettent des éléments importants susceptibles de modifier la conduite de l’examen ou son analyse.

Les médecins demandeurs, en particulier les spécialistes d’organe, et dans une moindre mesure les médecins traitants, tenus par une obligation de moyens, se doivent d’analyser les examens d’imagerie. De plus, un praticien, non spécialisé en imagerie, peut se voir reprocher de ne pas avoir porté un diagnostic même si le radiologue n’est pas parvenu à le faire avant lui mais sa responsabilité est habituellement appréciée avec moins de sévérité que celle du radiologue. On conçoit donc la nécessité que le radiologue transmette un compte-rendu explicite mais rende également facilement accessibles les images nécessaires au diagnostic et à la prise en charge des patients.

Un médecin d’une autre spécialité peut interpréter seul un bilan radiographique mais ceci est subordonné aux connaissances et à l’expérience dont il dispose. En l’absence de compte-rendu par le radiologue, un défaut d’organisation peut être évoqué.

👉 Lorsque plusieurs médecins collaborent à l’examen ou au traitement d’un patient, chacun d’eux doit assumer ses responsabilités personnelles au regard de ses compétences.

La téléradiologie est-elle un cas particulier ?

La téléradiologie (ou télé-imagerie médicale) se répand au travers de cadres d’exercice variés. Les actes de télé-imagerie sont des actes médicaux et ils répondent par conséquent aux exigences de l’exercice médical. Ils répondent en outre aux exigences spécifiques à la télémédecine. Le téléradiologue engage sa responsabilité concernant :

– la confidentialité et la protection des données,

– le recueil du consentement éclairé du patient sur le processus, les risques et les avantages associés à la télémédecine,

– sur l’intérêt médical de l’examen (pertinence de l’acte), sa qualité et le choix du protocole d’exploration selon le respect des normes et les recommandations de bonne pratique

– la documentation et la tenue des dossiers

– la communication avec le patient et le médecin demandeur et la réalisation du compte-rendu écrit, précis et clair dans des délais prévus et adaptés à la pathologie du patient.

Quelles sont les responsabilités en cas d’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) ?

En l’absence de jurisprudence, les responsabilités engagées par un radiologue en cas d’utilisation d’un outil d’IA restent conjecturelles. Tant que l’outil d’IA ne constitue qu’un simple support pour le radiologue, ce dernier reste libre de sa décision finale et sa responsabilité est seule engagée, qu’il valide un jugement erroné ou qu’il rejette un jugement exact de l’outil d’IA. Si la lecture combinée de l’outil d’IA et du radiologue s’avérait supérieure à celle du radiologue seul et que cet outil n’était pas utilisé, le radiologue pourrait se voir reprocher de ne pas avoir mis en œuvre tous les moyens pour aboutir à une analyse correcte.

L’utilisation d’un tel outil en l’absence de lecture par un radiologue, par exemple pour l’analyse des clichés d’urgence, pourrait engager la responsabilité des radiologues, des médecins utilisant l’outil et de l’établissement de santé. Dans le cas où selon la compagnie ayant développé le dispositif médical, l’outil d’IA viserait à se substituer aux radiologues, la responsabilité pourrait alors être partagée entre les professionnels de santé, l’établissement de santé et la compagnie promouvant son produit. Enfin, la question se pose de l’information au patient et de l’obtention de son consentement éclairé pour l’usage d’un outil d’IA, en particulier si celui-ci est considéré comme autonome.

Typologie des réclamations patients concernant les radiologues

Selon des données publiées par un assureur du marché français, la sinistralité des radiologues est de 2,1% en 2020 et 3,04% pour les radiologues libéraux. Les réclamations concernant les radiologues sont similaires à celles des autres spécialités et elles sont principalement liées à une démarche indemnitaire (90% des cas). Celles-ci se répartissent en trois tiers entre procédure civile, demande amiable et saisine de CCI. Les plaintes ordinales (3%) ou pénales (1,5%) sont rares. Dans deux tiers des cas, le dossier ne connaît aucune suite.

De façon générale, les avis des CCI restent plus favorables aux professionnels de santé que les décisions de justice mais ceci peut être lié à la nature des affaires traitées. Devant les juridictions civiles, une condamnation a été prononcée dans 51 % des cas en 2021. Devant les CCI, les professionnels de santé considérés comme non fautifs sont largement majoritaires à 74 %.

La sinistralité des radiologues aux USA

La situation aux USA diffère de celle de la France, en raison de pratiques médicales différentes, d’une judiciarisation réputée plus élevée, d’un fort taux de règlements amiables et de l’absence d’institutions telles que l’ONIAM et les CCI visant à indemniser les victimes d’accident médical non fautif grave, d’affection iatrogène et d’infection nosocomiale. Chaque année, 7% des radiologues font l’objet d’un procès.

L’étude de la sinistralité américaine est néanmoins utile car elle fait apparaitre des éléments peu visibles au travers des statistiques françaises. A ce titre, l’analyse des données récentes de l’assureur MedProGroup et de CRICO Comparative Benchmarking System (CBS) (collaboration nationale de partage de données de plus de 20 assureurs américains tirant parti des réclamations pour faute professionnelle médicale) (respectivement 2011-2020 et 2015-2019) est éloquente. La radiologie est au 7ème rang en nombre de plaintes devant l’anesthésie avec un taux de 4% du nombre de plaintes envers l’ensemble des professionnels de la santé.

Selon les données MedProGroup, les plaintes sont liées à une erreur de diagnostic dans 72% des cas, une procédure interventionnelle dans 13% des cas, une chute du patient de la table dans 4% des cas, l’ensemble des autres causes représentant 11% des cas. Les erreurs diagnostiques concernent le cancer dans 39% des cas (essentiellement le cancer du sein), une fracture dans 13% des cas mais également de multiples autres pathologies. En radiologie interventionnelle, les plaintes concernent principalement le vasculaire (23% des cas).

Surtout, l’analyse de ces données confirme l’importance des coresponsabilités. Lorsque le radiologue est le principal mis en cause, sa responsabilité est partagée avec un autre médecin dans 38% des cas. Dans les cas où un médecin d’une autre spécialité est principalement mis en cause, la responsabilité du radiologue peut également être engagée. Cela concerne les urgences (19% des cas), la chirurgie générale (9% des cas), la médecine interne (8% des cas) l’orthopédie (8% des cas), le médecin traitant (7% des cas).

Conclusion 

L’erreur diagnostique est la principale erreur conduisant à une mise en cause du radiologue et dans la grande majorité des cas, la démarche des patients est une réclamation à visée indemnitaire. La responsabilité du radiologue peut être partagée avec des médecins d’autres spécialités. Compte-tenu du développement de la radiologie interventionnelle, du télédiagnostic et de l’intelligence artificielle, la sinistralité des radiologues va probablement évoluer lors des prochaines années et la prévention des plaintes doit faire partie de leur préoccupation.

Rédigé par le Professeur Alain BLUM, chef de pôle Branchet en radiologie, chef de service au CHU de Nancy du service d’imageries ostéoarticulaires (service d’imageries de Guilloz), avec les avis éclairés de Perrine Bouvy, directrice Défense et indemnisation du groupe Branchet, et Maître Laure Soulier, avocat associé droit de la santé – Cabinet Auber.

Article paru dans la revue JIDI (Journal d’imagerie diagnostique et interventionnelle), journal officiel de la Société Française de Radiologie (SFR) et du Collège des Enseignants en Radiologie de France (CERF)