Radiologues : sinistralité et risque médico-juridique

Risque médico-juridique et sinistralité en radiologie

La radiologie est confrontée à des défis importants liés à la qualité et la sécurité des actes réalisés. En effet, les erreurs en radiologie sont extrêmement fréquentes et elles peuvent avoir des conséquences graves pour les patients et les professionnels. Il est donc essentiel de les identifier, de les analyser et de les prévenir. Ces erreurs peuvent engager la responsabilité des radiologues, les exposant aux risques de procédures à visées de sanctions (responsabilité pénale ou ordinale) et à visées indemnitaires (responsabilité civile, administrative et règlement amiable). Dans la grande majorité des cas, la démarche des patients est une réclamation à visée indemnitaire, soit dans le cadre d’une procédure devant les CCI (Commission de Conciliation et d’Indemnisation), soit auprès d’un tribunal civil ou d’une juridiction administrative.  

Ces risques se traduisent par la sinistralité qui mesure d’une part, le nombre de réclamations déposées par les patients ou leurs ayants droit contre les professionnels de santé assurés et d’autre part, la gravité des dommages ou des préjudices qui en découlent. La sinistralité des radiologues est relativement élevée et peut varier selon les domaines d’activité, les modes d’exercice ou les évolutions technologiques.

Cet article a pour but d’exposer la sinistralité actuelle des radiologues et d’envisager sa possible évolution, en tenant compte des facteurs qui peuvent l’influencer, tels que le développement de la radiologie interventionnelle, du télédiagnostic, de l’intelligence artificielle (IA) ou la complexification des dossiers qui implique une collaboration avec d’autres spécialités médicales et génère un partage de responsabilité. Cet article se limite à la responsabilité individuelle des radiologues dans leur pratique professionnelle, sans aborder la responsabilité de la structure de radiologie qui peut également être mise en cause.

Les erreurs et les accidents en radiologie

Les erreurs en radiologie sont fréquentes, bien documentées et leurs causes sont variées. Elles peuvent survenir à toutes les étapes du processus radiologique, depuis la demande d’examen jusqu’à la transmission du compte-rendu, en passant par la réalisation et l’interprétation des examens. Leur fréquence est difficile à déterminer avec précision en raison des variations méthodologiques des différentes analyses. Quoi qu’il en soit, aucune étude n’a révélé un taux d’erreur inférieur à 4%.

Ces erreurs peuvent engager la responsabilité des radiologues, les exposant aux risques de procédures à visées de sanctions (responsabilité pénale et ordinale) et à visées indemnitaires (responsabilité civile, administrative et règlement amiable), certaines d’entre-elles étant cumulatives. La radiologie représente la 6ème spécialité médicale mise en cause. Il est donc important de les connaitre pour tenter d’en réduire le nombre et la gravité.

Les erreurs en imagerie diagnostique

Les erreurs diagnostiques représentent les erreurs les plus fréquentes en radiologie (plus de 60% des réclamations). Elles se rencontrent avec toutes les modalités d’imagerie mais plus particulièrement avec le scanner et la radiographie standard. Les réclamations concernent principalement un cancer méconnu (sein et poumon notamment), d’une lésion traumatique ignorée ou plus rarement, d’un diagnostic par excès (faux positif) ou erroné conduisant à une intervention chirurgicale inutile. Ces erreurs résultent de la non-détection d’une lésion (erreur de perception) ou de sa mauvaise analyse (erreur d’interprétation). Les erreurs de perception sont les erreurs diagnostiques les plus fréquentes (60 à 80% de cas). Elles se caractérisent sur le plan médicolégal par une lésion non identifiée par le radiologue mais jugée suffisamment visible et détectable rétrospectivement par le radiologue initial, ses pairs ou l’expert. Les anomalies subtiles et discrètes évoluant ultérieurement vers un processus pathologique avéré ne sont pas considérées comme des erreurs de perception. Les erreurs d’interprétation correspondent à des anomalies détectées mais dont la signification ou l’importance ne sont pas correctement comprises ou suffisamment prises en compte.

Les causes profondes de ces erreurs sont nombreuses : conditions matérielles, erreur humaine, erreur de protocole, erreur d’identité du patient, charge de travail, problème logiciel et informatique.

Le développement de l’IA conduit également à souligner les biais cognitifs qui peuvent affecter le jugement du radiologue et notamment le biais d’automatisation qui conduit à faire une confiance disproportionnée à l’outil d’IA et à favoriser sa proposition au détriment de son propre jugement. Ce biais affecte plus particulièrement les utilisateurs peu expérimentés ou mis dans des conditions de travail contraignantes.

Le radiologue peut être mis en cause en cas d’accident ou d’un défaut technique lors d’une procédure diagnostique (environ 10% des réclamations) : choc anaphylactique, arthrite septique, chute de table, extravasation de produit de contraste, fracture lors d’une mauvaise manipulation du matériel, brûlure en IRM, rupture de prothèse mammaire lors d’une mammographie. Les chutes de tables représentent à elles seules 4% des réclamations.

Le radiologue peut être mis en cause en cas de défaut de communication avec le médecin demandeur de l’examen, conduisant à un retard de prise en charge et une perte de chance. Le radiologue se doit de réaliser un compte-rendu explicite, proposer une prise en charge adaptée (lorsque celle-ci relève de ses compétences) et alerter efficacement en cas d’urgence. Il est également responsable de la clarté et de la justesse des informations associées aux images (étage rachidien, latéralité).

Les erreurs de communication avec le patient se caractérisent principalement par l’annonce traumatisante d’un diagnostic et le manque d’humanité dans la mise à disposition des résultats d’imagerie.

💡 Rappelons qu’en raison du lien de subordination entre le radiologue et le personnel paramédical de son équipe, le médecin répond des fautes commises au préjudice des patients par les personnes qui l’assistent lors d’un acte médical d’investigation ou de soins.

Les erreurs en radiologie interventionnelle

En radiologie interventionnelle, les réclamations restent peu fréquentes (4% de l’ensemble des réclamations en pratique libérale) mais compte-tenu du développement exponentiel de cette pratique, il est très probable que la sinistralité augmente lors de ces prochaines années. La pratique radiologique peut se différencier en gestes interventionnels lourds (niveau II et III) s’apparentant à un geste chirurgical et ceux de niveau I, souvent réalisés en externe et parfois sans consultation préalable. De façon générale, la responsabilité du radiologue peut être mise en cause concernant le choix du geste interventionnel (indication, contre-indication), la réalisation technique du geste (complications per- ou post-opératoires), l’information délivrée au patient (consentement éclairé) et le suivi post-opératoire (prise en charge des complications).

Sur le plan médicolégal, la plus grande vigilance est apportée au recueil du consentement du patient. Celui-ci doit s’accompagner de la délivrance d’une information claire et loyale, orale et écrite, avec un délai de réflexion avant la réalisation de l’acte suffisamment long pour que le patient puisse mûrir sa réflexion (en règle générale supérieur à 48 heures). L’information écrite ne peut pas se substituer à l’information orale et elle ne constitue pas une décharge de responsabilité.

Un geste interventionnel expose à un risque d’accident. Cet accident peut être non fautif (aléa) ou relever d’une maladresse fautive. Il est important de distinguer ces deux situations, car elles n’ont pas les mêmes conséquences juridiques et indemnitaires. Leur distinction relève de l’expertise médicale. Un accident est un aléa s’il existe une anomalie (prédisposition anatomique non décelée) rendant l’atteinte inévitable ou la survenance d’un risque inhérent à cette intervention qui ne peut être maitrisé, s’il n’y a pas d’alternative technique moins risquée et que l’accident est favorisé par l’état du patient. Rappelons que l’accident médical non fautif grave peut être indemnisé par l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales) dans le cadre d’une procédure devant la CCI. La maladresse fautive est retenue en l’absence d’anomalie rendant l’atteinte inévitable, lorsque le risque n’est pas inhérent à l’intervention et peut être maitrisé en mettant en œuvre les moyens nécessaires en conformité avec les règles de l’art et les données acquises de la science. La responsabilité du radiologue est également engagée dans la gestion des éventuelles complications liées à l’acte, l’acheminement des prélèvements biopsiques et la communication des résultats.

💡 l’accident médical non fautif grave peut être indemnisé par l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales) dans le cadre d’une procédure devant la CCI. La maladresse fautive est retenue en l’absence d’anomalie rendant l’atteinte inévitable, lorsque le risque n’est pas inhérent à l’intervention et peut être maitrisé en mettant en œuvre les moyens nécessaires en conformité avec les règles de l’art et les données acquises de la science. La responsabilité du radiologue est également engagée dans la gestion des éventuelles complications liées à l’acte, l’acheminement des prélèvements biopsiques et la communication des résultats.

Les autres mises en cause

Le radiologue, chef de structure, peut être mis en cause pour un défaut d’organisation ou de gestion de son service.

Enfin, le radiologue s’expose à des sanctions pénales en cas d’infraction (comportement répréhensible prévu par le code pénal) essentiellement caractérisée, dans l’exercice médical, par des fautes contre des personnes (ex: coups et blessures volontaires ou involontaires…) ou par des manquements à des obligations légales (rupture du secret professionnel, abstention de porter secours…). Il encourt des sanctions ordinales en cas de non-respect aux 112 articles du code de déontologie (eux-mêmes retranscrit dans le code de la santé publique) ou dans le cadre d’actes susceptibles de déconsidérer la profession.

Une responsabilité partagée

La responsabilité du radiologue peut être partagée avec d’autres médecins, en ce qui concerne l’information au patient, la demande d’examen et son analyse. L’information du patient incombe à tous les praticiens qui le prennent en charge. Elle pèse aussi bien sur le médecin demandeur de l’examen que sur celui qui le réalise. Ils doivent consigner dans le dossier médical ou le compte-rendu la nature de l’information dispensée.

La responsabilité est également partagée lorsque l’examen demandé est inapproprié ou trop dangereux au regard du bénéfice escompté. En cas de doute devant une demande d’examen, le radiologue doit contacter le médecin demandeur pour obtenir toutes les informations utiles. Le radiologue se doit en principe de refuser de pratiquer un examen qu’il juge non pertinent. Lorsque le radiologue réalise un examen sur la base des informations fournies par le médecin demandeur, la responsabilité de ce dernier peut être engagée, lorsque les informations transmises, notamment sur la demande d’examen, ne sont pas loyales et omettent des éléments importants susceptibles de modifier la conduite de l’examen ou son analyse.

Les médecins demandeurs, en particulier les spécialistes d’organe, et dans une moindre mesure les médecins traitants, tenus par une obligation de moyens, se doivent d’analyser les examens d’imagerie. De plus, un praticien, non spécialisé en imagerie, peut se voir reprocher de ne pas avoir porté un diagnostic même si le radiologue n’est pas parvenu à le faire avant lui mais sa responsabilité est habituellement appréciée avec moins de sévérité que celle du radiologue. On conçoit donc la nécessité que le radiologue transmette un compte-rendu explicite mais rende également facilement accessibles les images nécessaires au diagnostic et à la prise en charge des patients.

Un médecin d’une autre spécialité peut interpréter seul un bilan radiographique mais ceci est subordonné aux connaissances et à l’expérience dont il dispose. En l’absence de compte-rendu par le radiologue, un défaut d’organisation peut être évoqué.

👉 Lorsque plusieurs médecins collaborent à l’examen ou au traitement d’un patient, chacun d’eux doit assumer ses responsabilités personnelles au regard de ses compétences.

Typologie des réclamations patients concernant les radiologues

Selon des données publiées par un assureur du marché français, la sinistralité des radiologues est de 2,1% en 2020 et 3,04% pour les radiologues libéraux. Les réclamations concernant les radiologues sont similaires à celles des autres spécialités et elles sont principalement liées à une démarche indemnitaire (90% des cas). Celles-ci se répartissent en trois tiers entre procédure civile, demande amiable et saisine de CCI. Les plaintes ordinales (3%) ou pénales (1,5%) sont rares. Dans deux tiers des cas, le dossier ne connaît aucune suite.

De façon générale, les avis des CCI restent plus favorables aux professionnels de santé que les décisions de justice mais ceci peut être lié à la nature des affaires traitées. Devant les juridictions civiles, une condamnation a été prononcée dans 51 % des cas en 2021. Devant les CCI, les professionnels de santé considérés comme non fautifs sont largement majoritaires à 74 %.

La sinistralité des radiologues aux USA

La situation aux USA diffère de celle de la France, en raison de pratiques médicales différentes, d’une judiciarisation réputée plus élevée, d’un fort taux de règlements amiables et de l’absence d’institutions telles que l’ONIAM et les CCI visant à indemniser les victimes d’accident médical non fautif grave, d’affection iatrogène et d’infection nosocomiale. Chaque année, 7% des radiologues font l’objet d’un procès.

L’étude de la sinistralité américaine est néanmoins utile car elle fait apparaitre des éléments peu visibles au travers des statistiques françaises. A ce titre, l’analyse des données récentes de l’assureur MedProGroup et de CRICO Comparative Benchmarking System (collaboration nationale de partage de données de plus de 20 assureurs américains tirant parti des réclamations pour faute professionnelle médicale) est éloquente. La radiologie est au 7ème rang en nombre de plaintes devant l’anesthésie avec un taux de 4% du nombre de plaintes envers l’ensemble des professionnels de la santé.

Selon les données MedProGroup, les plaintes sont liées à une erreur de diagnostic dans 72% des cas, une procédure interventionnelle dans 13% des cas, une chute du patient de la table dans 4% des cas, l’ensemble des autres causes représentant 11% des cas. Les erreurs diagnostiques concernent le cancer dans 39% des cas (essentiellement le cancer du sein), une fracture dans 13% des cas mais également de multiples autres pathologies. En radiologie interventionnelle, les plaintes concernent principalement le vasculaire (23% des cas).

Surtout, l’analyse de ces données confirme l’importance des coresponsabilités. Lorsque le radiologue est le principal mis en cause, sa responsabilité est partagée avec un autre médecin dans 38% des cas. Dans les cas où un médecin d’une autre spécialité est principalement mis en cause, la responsabilité du radiologue peut également être engagée. Cela concerne les urgences (19% des cas), la chirurgie générale (9% des cas), la médecine interne (8% des cas) l’orthopédie (8% des cas), le médecin traitant (7% des cas).

La téléradiologie est-elle un cas particulier ?

La téléradiologie (ou télé-imagerie médicale) se répand au travers de cadres d’exercice variés. Les actes de télé-imagerie sont des actes médicaux et ils répondent par conséquent aux exigences de l’exercice médical. Ils répondent en outre aux exigences spécifiques à la télémédecine. La téléradiologie impose :

– la confidentialité et la protection des données,

– le recueil du consentement éclairé du patient sur le processus, les risques et les avantages associés à la télémédecine

– un intérêt médical à l’examen (pertinence de l’acte) et à sa réalisation en télédiagnostic,

– le respect des normes et des recommandations de bonne pratique quant à sa qualité et le choix du protocole d’exploration

– la documentation et la tenue des dossiers

– la réalisation du compte-rendu écrit, précis et clair dans des délais prévus et adaptés à la pathologie du patient

– la communication avec le patient et le médecin demandeur.

La sinistralité des téléradiologues libéraux travaillant au sein d’un centre de télédiagnostic n’est pas individualisée dans les recueils de données mais elle devrait être inférieure à la moyenne générale car les responsabilités sont partagées avec les établissements hospitaliers, principaux clients de ces structures de télédiagnostic.

De façon générale, l’établissement hospitalier porte la responsabilité de l’exécution des actes d’imagerie et des actes afférents qui y sont pratiqués, notamment des injections de produits de contraste, qui doivent être exécutées sous le contrôle d’un médecin de proximité, de la préparation du patient, de son information, du recueil de son consentement, de sa surveillance médicale durant l’examen, ainsi que de la prise en charge de toute complication intercurrente. Le téléradiologue quant à lui porte l’entière responsabilité professionnelle des actes médicaux (pertinence de l’acte, respect des normes et des recommandations, documentation, justesse de l’analyse, communication).

Enfin, certaines structures de télédiagnostic mettent en avant une politique de contrôle qualité et des procédures rigoureuses visant à réduire le taux d’erreur et la sinistralité.

Quelles sont les responsabilités en cas d’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) ?

L’intégration de l’intelligence artificielle dans le domaine de la radiologie ouvre de nombreuses perspectives pour améliorer le diagnostic, la prise en charge des patients, la prévention des maladies et, en fin de compte, réduire la sinistralité. Toutefois, cette avancée soulève plusieurs aspects juridiques importants, nécessitant une prise en compte des risques médico-légaux spécifiques. Étant donné l’absence de jurisprudence, les responsabilités engagées par un radiologue lors de l’utilisation d’un outil d’IA demeurent spéculatives.

1- La situation actuelle


En cas d’erreur diagnostique commise par un radiologue utilisant l’IA, de nombreux juristes estiment actuellement que le radiologue reste le seul responsable de sa décision finale, l’outil d’IA ne servant qu’à l’appui de la décision. Cela permet théoriquement à l’éditeur de l’outil d’IA de se dégager de toute responsabilité en cas de défaillance du logiciel.

Cependant, les outils d’IA sont des dispositifs médicaux (33) et à ce titre, les industriels ont pour obligation de prendre en compte les connaissances techniques, l’expérience, l’éducation et la formation des utilisateurs et d’accompagner chaque dispositif des informations nécessaires pour qu’il puisse être utilisé correctement et en toute sécurité́. On peut donc considérer qu’il relève de la responsabilité du fournisseur d’IA d’informer les radiologues des limitations de l’outil mais également de la possibilité d’occurrence de biais cognitifs et de dépendance qui pourraient altérer leur jugement voire de proposer des mesures préventives pour minimiser ces effets indésirables.

Enfin, la Commission européenne a présenté récemment deux propositions de directives relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux qui pourraient alourdir de façon significative la responsabilité des fournisseurs d’intelligence artificielle (34, 35). La notion de dommage a été élargie pour couvrir la perte ou la corruption de données. Les entreprises seront soumises à des obligations très vastes d’information et de divulgation des preuves devant les tribunaux. La charge de la preuve sera allégée pour les victimes de l’IA et la faute du fournisseur de l’IA sera présumée s’il refuse de divulguer certaines informations et éléments de preuve. Enfin, les victimes disposeront d’un droit d’accès aux éléments de preuve auprès des entreprises et des fournisseurs.

Deux types d’erreur peuvent être envisagés. Le cas le plus évident est lié à un avis conforme mais erroné de l’IA et du radiologue. Il peut également s’agir d’un cas où le radiologue rejette un jugement exact émis par l’IA. La détermination de la responsabilité du radiologue dépendra d’une évaluation in concreto prenant en compte plusieurs facteurs. Parmi ces facteurs figurent la nature de l’erreur diagnostique, les connaissances et compétences du radiologue, les directives et recommandations en vigueur, ainsi que les circonstances spécifiques entourant l’utilisation de l’outil d’IA.

La situation se complique si l’outil d’IA vise à se substituer aux radiologues ou que le vendeur de l’IA omet de les impliquer suffisamment pour un usage adapté.  Ainsi, si un outil de détection des fractures est uniquement utilisé par les urgentistes, cela pourrait engager la responsabilité des radiologues, des urgentistes, de l’établissement (pour défaut d’organisation) et du fournisseur de l’IA.

Dans tous les cas, le radiologue doit veiller au respect de la confidentialité des données et s’assurer de la conservation des images sources, des images traitées et des métadonnées associées. Notons que le traitement des données personnelles par l’IA ne nécessite pas le consentement des personnes, sous réserve que le fournisseur de l’outil soit en capacité de démontrer la validité du recours à l’intérêt légitime comme base légale du traitement prévue par le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), incluant notamment un avantage évident pour les personnes. Enfin, le RGPD impose la mise en place d’un mécanisme clair et accessible permettant aux personnes concernées de s’opposer au traitement des données.

La responsabilité des radiologues pourrait évoluer si l’usage d’un outil d’IA, actuellement facultatif, devient la norme, soutenue par des bases scientifiques solides démontrant sa supériorité et les recommandations des sociétés savantes. Dans un tel cas, la responsabilité du radiologue pourrait être engagée s’il ne l’emploie pas et qu’il commet une erreur qui aurait pu être prévenue par son utilisation. Il pourrait être accusé de négligence pour ne pas avoir utilisé les moyens nécessaires pour parvenir à un diagnostic précis ou engager une prise en charge adaptée.

2- Les IA génératives et l’IA autonome

Enfin, l’utilisation des IA génératives tel que ChatGPT va indiscutablement modifier de nombreuses pratiques. Actuellement, les applications basées sur ChatGPT en radiologie comprennent la génération de comptes-rendus, la recherche d’informations, l’aide à la décision clinique, la communication avec les patients et l’analyse de données. Cependant, ces IA présentent encore de nombreuses limites. Elles peuvent générer de nouvelles données qui simulent des éléments réels et produire des résultats factuellement incorrects, appelés hallucinations. Enfin, leur utilisation opaque des sources d’informations pourrait induire des erreurs. La fiabilité des données fournies doit être vérifiée et lorsque des références sont indiquées, elles sont souvent insuffisantes voire totalement fabriquées. Il est donc essentiel d’établir des cadres juridiques et réglementaires appropriés à l’utilisation de l’IA générative en médecine, en prenant en compte les spécificités de ces technologies.

Quant à l’utilisation d’une IA autonome en imagerie, elle semble encore lointaine…

3- Prévention

La prévention des plaintes et des réclamations repose avant tout sur le respect des bonnes pratiques mais cela ne suffit pas. Afin de minimiser les risques juridiques associés à la pratique radiologique, il est souhaitable de fournir une formation spécialisée aux radiologues, portant sur l’utilisation croissante des outils d’IA et sur les aspects médicolégaux de leur exercice quotidien.

Bien que les sociétés scientifiques et les organisations médicales jouent un rôle essentiel dans la formation et l’éducation des médecins en matière d’IA, les vendeurs, concepteurs ou fournisseurs d’outils d’IA ont également une part de responsabilité dans cette formation. En tant que créateurs de ces outils, ils ont une connaissance approfondie de leurs fonctionnalités, de leurs limites et des précautions nécessaires à prendre lors de leur utilisation.

Enfin, en intégrant une dimension médicolégale à leur formation, les radiologues seront mieux préparés pour faire face aux défis émergents dans le domaine de l’imagerie médicale. Ils seront en mesure d’adopter une approche proactive de la gestion des risques, de prévenir les erreurs potentielles et d’améliorer la sécurité des patients.

Conclusion 

L’erreur diagnostique est la principale erreur conduisant à une mise en cause du radiologue et dans la grande majorité des cas, la démarche des patients est une réclamation à visée indemnitaire. La responsabilité du radiologue peut être partagée avec des médecins d’autres spécialités. Compte-tenu du développement de la radiologie interventionnelle, du télédiagnostic et de l’intelligence artificielle, la sinistralité des radiologues va probablement évoluer lors des prochaines années et la prévention des plaintes doit faire partie de leur préoccupation.

Nous remercions Madame Perrine Bouvy, directrice Défense et Indemnisation du groupe Branchet, Maître Laure Soulier, avocat associé droit de la santé – cabinet Auber, pour leurs avis éclairés.

Rédigé par le Professeur Alain BLUM, chef de pôle Branchet en radiologie, chef de service au CHU de Nancy du service d’imageries ostéoarticulaires (service d’imageries de Guilloz), avec les avis éclairés de Perrine Bouvy, directrice Défense et indemnisation du groupe Branchet, et Maître Laure Soulier, avocat associé droit de la santé – Cabinet Auber.

Article paru dans la revue JIDI (Journal d’imagerie diagnostique et interventionnelle), journal officiel de la Société Française de Radiologie (SFR) et du Collège des Enseignants en Radiologie de France (CERF)

Publié le 1er juin 2023