Il est rare qu’un Tribunal contredise deux expertises successives défavorables au praticien. C’est pourtant ce qu’a fait la Cour d’appel de Lyon dans une affaire opposant une patiente à un fabricant international de dispositifs médicaux et à un chirurgien orthopédiste.
Un arrêt qui rappelle avec force que la responsabilité du médecin ne se décrète pas sur la base de dogmes scientifiques figés mais s’apprécie notamment au regard du raisonnement clinique.
Les faits
Une patiente âgée de 64 ans, présentant une coxarthrose polaire supérieure droite sur dysplasie de hanche, bénéficiait d’une première pose de prothèse totale de hanche droite par le Docteur n°1, selon un couple métal/polyéthylène.
Une usure cotyloïdienne survenait dix ans après la pose de la première prothèse. Le Docteur n°1 conservait la tige, remplaçait la cupule polyéthylène par un insert alumine et remplaçait la tête métal par une tête céramique d’alumine avec manchon métallique, fournie par LABO et présentée comme spécialement conçue pour ce type de reprises.
Sept mois plus tard, la patiente présentait une fracture multi-fragmentaire de la tête prothétique et le Docteur n°2 mettait en place un insert en polyéthylène et une tête métal.
En 2013, soit six ans après cette intervention, des radiographies mettaient en évidence une ostéolyse majeure de la région trochantérienne avec une quasi-destruction de l’extrémité supérieure du fémur. Ainsi, le Docteur n°3 effectuait un changement de la prothèse lors duquel il mettait en évidence une importante métallose.
Phase amiable
Des opérations d’expertise amiables, auxquelles participaient le Docteur n°1 et LABO, étaient organisées.
Ce rapport amiable, rendu à la lumière d’un avis pris auprès d’un chirurgien orthopédiste expérimenté, validait la prise en charge du Docteur n°1, soulevait la question de la responsabilité de LABO dans la rupture prématurée de la tête céramique et considérait par ailleurs que la prise en charge du Docteur n°2 n’avait pas été conforme aux règles de l’art au motif que les recommandations justifiaient la mise en place d’un couple céramique/céramique, éventuellement un couple céramique/polyéthylène, mais en aucun cas un couple métal/polyéthylène.
Phase judiciaire
La patiente engageait finalement une action judiciaire.
Notre Cabinet était missionné dans les intérêts du Docteur n°2.
À l’instar du rapport amiable, l’expert judiciaire considérait que :
- La prise en charge du Docteur n°1 n’était pas critiquable,
- Après avoir éliminé toute contrainte excessive sur la prothèse, telle une chute de la patiente ou une surcharge pondérale, la responsabilité de LABO pouvait se poser,
- La responsabilité du Docteur n°2 devait être retenue considérant que le remplacement d’une interface alumine-alumine rompue, par un couple friction métal/polyéthylène, n’était pas en adéquation avec les données acquises de la science en 2007.
À l’appui de ce rapport d’expertise, la patiente a sollicité du Tribunal Judiciaire, la condamnation de LABO et du Docteur n°2 à l’indemniser de ses préjudices.
Malgré 2 rapports d’expertise défavorables et un LABO de mauvaise foi (!), nous avons mis en évidence les éléments suivants :
A l’appui des dispositions légales en matière de responsabilité des produits défectueux
Nous avons plaidé la qualité de fabricant (ou producteur) de LABO.
En effet, LABO faisait valoir sa seule qualité de fournisseur et contestait être le fabricant, puisqu’il sous-traitait la fabrication de la tête céramique à une autre société.
Or, en application des dispositions légales en matière de dispositifs médicaux, le fabricant est la personne physique ou morale responsable de la conception, de la fabrication, du conditionnement et de l’étiquetage d’un dispositif médical en vue de sa mise sur le marché en son nom propre, que ces opérations soient effectuées par cette personne ou pour son compte par une autre personne. Il appartenait dès lors à LABO de mettre en cause la société fabriquant la tête céramique s’il l’estimait nécessaire, ce qu’il n’a pas souhaité, privilégiant ses relations commerciales de longue date.
Nous avons démontré la défectuosité de la prothèse, ce qui n’est pas chose aisée.
De façon analogue aux prothèses mammaires rompues, LABO faisait valoir que ses tests internes des fragments de la tête céramique cassée, n’avaient révélé aucune défectuosité du matériel et que le taux de fracture minime de 0,022% devait être considéré comme un aléa.
À l’appui de nos développements, nous avions notamment versé aux débats, un article paru trois ans avant la mise en place de la prothèse litigieuse édicté par LABO qui recommandait précisément un suivi minutieux des patients porteurs de ce type de matériel afin de pouvoir réintervenir rapidement.
Suivant notre argumentaire, la Cour d’appel de Lyon a considéré que la prothèse implantée par le Docteur n°1 n’avait pas offert la sécurité suffisante à laquelle on pouvait légitimement s’attendre, en fonction de l’usage raisonnable qui pouvait en être espéré.
En effet, la Cour de cassation [PB1] se réfère aux notions de « dangerosité anormale ou à une absence de sécurité normale ».
Le respect des règles de l’art et des recommandations du fabricant par le chirurgien ou l’obtention d’une autorisation administrative ne sont pas incompatibles avec la notion de défectuosité.
À l’appui des dispositions légales propres à la responsabilité du médecin, nous avons mis en lumière la conformité de la prise en charge chirurgicale
Le reproche principal des experts était le choix de la prothèse.
Selon eux, le remplacement d’une interface alumine-alumine rompue par un couple friction métal-polyéthylène n’était pas en adéquation avec les données acquises de la science en 2007.
Pour aboutir à cette analyse, l’expert judiciaire se référait à un article de 2003 qui préconisait l’utilisation d’un couple céramique-céramique en cas de reprise suite à une rupture de la tête prothétique en céramique.
Grâce à un chirurgien impliqué et à une équipe de défense spécialisée, nous avons démontré que si cet article privilégiait la mise en place d’un couple céramique-céramique, il n’apparaissait en rien qu’à cette époque, ce choix constituait une recommandation formelle ou que l’utilisation d’un couple métal-polyéthylène était contre-indiquée.
Pour appuyer notre argumentaire, nous avons versé plusieurs bibliographies :
- L’une datant de 2016, considérait que la reprise des têtes céramiques par une nouvelle tête céramique restait controversée. Cet article se référait d’ailleurs à l’article de 2003 sur lequel s’était fondé l’expert et à plusieurs autres qui n’aboutissaient pas aux mêmes conclusions.
- L’autre datant justement de 2003 qui concluait que « l’insertion d’un cobalt-chrome ou d’une nouvelle bille fémorale en céramique minimise le risque de descellement précoce des implants et la nécessité d’une ou plusieurs révisions ».
Nous n’avions par ailleurs pas manqué de faire remarquer que, six ans après la pose du couple considéré comme non conforme par l’expert, le Docteur n°3 du CHU, avait fait le choix d’un couple de friction métal/polyéthylène…
Reprenant notre argumentation, la Cour d’appel de Lyon a constaté que l’Expert ne se référait qu’à une préconisation et en a déduit qu’« il n’existait pas, à proprement parler, un consensus médical quant à la nécessité de remplacer exclusivement une prothèse céramique rompue par un couple de même nature, et non par un couple métal/polyéthylène.
Face à l’absence de certitude médicale quant au choix prothétique qui s’imposait lors de l’intervention, il en résulte qu’il ne peut être considéré comme établi que le choix litigieux du Docteur n°2, ne correspondait pas à des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science à la date à laquelle les soins ont été prodigués ».
Au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour d’appel de Lyon par un arrêt du 12 octobre 2023, a condamné LABO à indemniser l’intégralité des préjudices de la patiente et l’a également condamné au règlement des frais de conseils et de procédure que l’assureur du Docteur n°2 a dû supporter.
En somme, une victoire pleine et entière obtenue dans les intérêts du chirurgien orthopédiste malgré deux rapports d’expertise défavorables et la pression d’un laboratoire international.
Nous ne nous sommes pas contentés de subir l’expertise et nous avons surtout replacé le geste chirurgical dans son contexte clinique et avons démontré, références scientifiques à l’appui, que l’état de l’art ne se résumait pas à la seule vision de l’expert.
Cette affaire rappelle que la responsabilité du fabricant ne se dissout pas dans les méandres de la sous-traitance, surtout lorsqu’un défaut de conception met en péril la sécurité des patients et illustre à quel point l’évaluation du geste chirurgical doit rester ancrée dans la réalité médicale.
Maître Maryne OEUVRARD
BELLOC AVOCATS