Infections sur implants mammaires : libres propos

Infections sur implants mammaires

D’après une analyse de dossiers Branchet, les Docteurs Jean-Pierre REYNAUD, Pascal GRANIER et Michel ROUIF, du pôle Chirurgie Plastique Reconstructrice et Esthétique, nous proposent quelques pistes de réflexion autour des mises en causes pour infections sur implants mammaires.

Dossiers concernés par notre étude

Nous avons pu étudier, dans l’ensemble des sinistres connus par Branchet, 82 dossiers relatifs à une mise en cause pour complication infectieuse après mastoplasties d’augmentation par implants. La période calendaire allant de 2011 à 2022 pour les dates d’ouverture des dossiers sinistres et de 2007 à 2022 pour les dates du fait générateur.

La recherche a intéressé les dossiers correspondant aux codes CCAM : QEMA003, QEMA004, QEDA001, QEDA003, QEGA001, QEGA002, QEGA003, QEGA004. L’existence d’une complication infectieuse associée à l’acte était le critère de retenue.

Nous avons volontairement exclu, pour resserrer l’étude, les codes QEMA006, QEPA001, QEKA001,QEKA002.

Sur les 82 dossiers étudiés, en vue d’exploitation et de conclusions, nous avons écarté 15 dossiers où, s’il y avait une évocation d’infection dans l’analyse, la loge prothétique et l’implant n’étaient pas impactés : désunion simple de cicatrice, colonisation bactérienne simple des tissus mammaires (mastopexies)

Sur les 67 dossiers restants exploitables, nous avons étudié les critères suivants :

  • Incidence de la voie d’abord sur la survenue de l’infection
  • Conduite de la prise en charge de la complication infectieuse
  • Incidence de la qualité de la démarche d’information sur le déclenchement de la mise en cause

Avant de rentrer dans l’étude proprement dite, il convient de préciser qu’elle montre quand même assez clairement la rareté des complications infectieuses des mastoplasties d’augmentation par implants au regard du nombre d’actes réalisés sur la période étudiée et du nombre d’assurés concernés. Cette précision peut, nous en sommes conscients, n’avoir qu’un intérêt restreint pour les chirurgiens plasticiens. Ce qui ne veut pas dire que cette étude ne débouche pas sur l’acquisition de renseignements utiles pour eux. Cependant, l’étude nous a engagé dans une démarche de réflexion sur la possibilité d’améliorations des pratiques.

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Incidence de la voie d’abord sur la survenue de l’infection :

La répartition des voies d’abord est la suivante :

  1. Voies aréolaires (comprenant les mastopexies par Round Block) : 34
  2. Voies axillaires : 6
  3. Voies sous mammaires : 15
  4. Plasties en T inversé : 12

Sans que nous puissions donner une référence scientifique, mais nous basant sur les expériences et les échanges recueillis, les proportions correspondent à peu près aux choix reconnus par les chirurgiens.

L’importance de la voie d’abord aréolaire (plus de 50% ) conduit à la réflexion suivante : cette voie implique une dissection trans glandulaire. Or le tissu mammaire doit être classé 2 dans la classification d’Altemeier. Il s’agit, même si la classe 2 n’évoque que « l’ouverture d’un viscère creux », de cas de chirurgie propre CONTAMINÉE. Il est évident pour tout le monde que les galactophores renferment des colonies bactériennes stables mais toujours susceptibles d’être à l’origine d’une contamination, puis d’une infection.

Les mastopexies avec cicatrices en T inversé (12), avec les gestes de plasties glandulaires qui leur sont associées, sont bien entendu à inclure dans ces commentaires. Il en est de même pour les seins tubéreux (7 dans notre étude mais inclus dans les voies d’abord aréolaire) dont le traitement conduit à des techniques de Puckett.

Les voies axillaires et sous mammaires qui n’impliquent pas de dissection trans glandulaire (21% pour les deux) semblent apporter une meilleure sécurité infectieuse.

L’étude de ces résultats peut faire apparaitre que la voie d’abord aréolaire entraine un risque accru de contamination de la loge prothétique mais notre intention n’est pas de la déconseiller car elle offre certainement des avantages indéniables pour les chirurgiens qui en sont les adeptes, mais d’imaginer quelques aménagements possibles :

  1. Un lavage très abondant de loge prothétique et des tranches glandulaires avant l’introduction de l’implant (sérum bétadiné, eau oxygénée…) peut être un bon moyen de diminuer les risques de contamination.
  2. L’utilisation d’écarteurs à lames larges isolant l’implant des berges de la voie d’abord peut être envisagé.
  3. Pourquoi ne pas concevoir, comme les plus anciens d’entre nous ont pu le pratiquer lors de l’utilisation des implants « polyuréthane », une gaine plastique introduite dans la voie d’abord isolant l’implant des berges lors de son introduction dans la loge ?
  4. Pour certains chirurgiens à l’expérience longue, sérieuse et riche, et bien que non vraiment conforme aux recommandations infectiologiques : Antibiothérapie post opératoire pendant 4 jours

Ces moyens sont des idées et non des recommandations fermes !

En revanche, nous pensons que lors de l’entretien de consultation où se décide l’indication opératoire, il serait de bonne pratique d’expliquer aux patientes les détails des trois voies d’abord possibles, leurs intérêts et risques propres, dans une démarche « bénéfice-risque » et « alternatives thérapeutiques »  (dont on sait que ces démarches sont recommandées par l’HAS et les instances officielles), avant d’exposer les raisons de son proche choix.

Conduite de la prise en charge de la complication infectieuse :

Nous avons trouvé 10 cas d’infections tardives (diagnostiquées plus d’un an après l’implantation) ce qui les fait ranger en dehors des infections nosocomiales.

Sur les 57 dossiers restants, tous ont été reconnus en expertise comme relevant de l’infection nosocomiale dont on sait que l’imputabilité est à l’Établissement de Santé où l’intervention et l’hospitalisation se sont déroulées, ce qui pourrait a priori exonérer le chirurgien de responsabilité.

Prise en charges défectueuses :

Mais ce n’est pas aussi simple…

En effet,  nous avons relevé sur ces 57 dossiers 32 prises en charges défectueuses de la part du praticien :

  • Retards dans le diagnostic de la complication (dont un décès par infection foudroyante à streptocoque … !)
  • Défaut dans l’antibioprophylaxie
  • Prescription d’antibiotique sans prélèvement bactériologique préalable 
  • Gestes « inconsidérés » au cabinet : suture d’une désunion de suture de voie d’abord
  • Absence d’avis infectiologique
  • Réutilisation d’un implant infecté

Ces facteurs sont aux yeux des patientes des manquements qui altèrent l’image du praticien, même si l’infection nosocomiale est reconnue. Et les établissements, responsables « par défaut » cherchent quasi systématiquement un partage de responsabilité. Il nous semble donc impératif de donner quelques recommandations simples en dehors bien sûr des règles connues de reprises chirurgicales ; ici nous pourrons parler de recommandations !

  • Vérification, avec le confrère Anesthésiste, de la conformité de l’antibioprophylaxie lors de la checklist et adaptation si besoin
  • Pas de prescriptions d’antibiotique sans avoir au préalable fait un prélèvement (écouvillons exclus)

o  Adaptation après réception de l’antibiogramme

o  Prendre conseil auprès d’un infectiologue 

  • Pas de geste en cabinet
  • En cas de ré intervention lors d’un diagnostic précoce (moins de 8 jours) : après dépose de l’implant infecté et nettoyage de loge, utiliser un implant neuf.

Qualité de la démarche d’information :

Dans 17 dossiers, nous avons pu relever des manquements ou des insuffisances en matière d’information :

  • Une seule consultation pré-opératoire très mal détaillée
  • Consentement éclairé trop « généraliste » ne mentionnant pas le risque infectieux
  • Pas de trace de la remise de la fiche spécifique de la SoFCPRE (où les complications infectieuses sont bien évoquées et décrites)
  • Lors du diagnostic de la complication : pas de trace d’une nouvelle information (par exemple non recueil du souhait de la patiente de conserver ou d’ôter l’implant sain)

Là encore l’image du praticien et de sa pratique professionnelle se voit dégradée aux yeux des patientes. De plus, même si la complication est qualifiée de nosocomiale sans faute technique de la part du praticien, les parties adverses peuvent réclamer un préjudice autonome (ou préjudice d’impréparation) conduisant à une indemnisation pour manquement « au respect de la personne humaine ».

Nous rappelons donc les fondamentaux de l’information :

  • En Chirurgie Esthétique, une deuxième consultation pré-opératoire est plus que vivement conseillée ; certains juges la considérant même comme obligatoire
  • Le Consentement éclairé doit être détaillé et comprendre le libellé exact de l’intervention et de l’indication opératoire
  • Le délai (devis)
  • La remise de fiche, bien sûr (deux nécessaires si mastoplastie) que l’on est censé commenter
  • Lors des consultations, il faut tracer (en plus de la remise de fiche) l’évocation claire du risque infectieux, le documenter, expliquer la prise en charge nécessaire s’il survient

Nous ne pouvons terminer cette étude sans parler d’une constatation surprenante, faits que nous considérons comme contraire aux bonnes pratiques et auxquels nous n’apportons pas de caution. En effet, dans 4 cas nous avons relevé ce que les chirurgiens mis en cause considèrent comme un « sauvetage d’implant » : remise en place d’un implant infecté après lavage de loge, nettoyage de l’implant, antibiothérapie adaptée.

Il ne peut s’agir à nos yeux d’une conduite recommandée en raison des risques potentiels de récidive de l’infection aux conséquences imprévisibles. De toutes façons, 3 de ces cas ont conduit à une procédure au cours de laquelle une part de responsabilité a été retenue. Par ailleurs, 3 cas de conduite identique se sont traduits par un échec.

Il ne nous a pas été possible d’étudier l’éventuelle incidence d’une texturation des implants mais il est indéniable que la texturation par augmentation de surface de l’enveloppe nous parait entrainer une augmentation de surface du biofilm. De là une augmentation de la zone de non-efficacité des antibiotiques.

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Jean-Pierre REYNAUD, Pascal GRANIER, Michel ROUIF – Pôle de Chirurgie Plastique Reconstructrice et Esthétique Branchet – Publié le 10 juin 2024