Quand un simple malaise cache un risque majeur
Une patiente âgée de 51 ans, régulièrement suivie pour une dystrophie thyroïdienne, bénéficiait d’une échographie thyroïdienne objectivant la présence d’un nodule.
Une cytoponction était proposée eu égard à l’augmentation de la taille du nodule et une hémithyroïdectomie était programmée.
Dans la perspective de l’intervention, la patiente était reçue en consultation d’anesthésie par le Docteur MAR 1 où il était relevé, au titre des antécédents médicaux, la suspicion d’un AIT (Accident Ischémique Transitoire) survenu un an auparavant à type de malaise.
Celui-ci avait fait l’objet d’un bilan et d’un échodoppler troncs supra-aortiques qui était revenu normal.
Après une balance entre le risque hémorragique et le risque ischémique et relevant que le malaise présenté un an avant ne répondait pas aux critères d’AIT, le Docteur MAR 1 préconisait l’arrêt de son traitement par aspirine 5 jours avant l’intervention.
Une thyroïdectomie avec curage ganglionnaire était réalisée sous anesthésie générale conduite par le Docteur MAR 2 sans difficulté particulière.
Les premières constantes enregistrées en SSPI montraient une légère tachycardie qui se stabilisait rapidement.
L’infirmier constatait cependant par la suite un déficit moteur de l’hémicorps droit et une paralysie faciale pour laquelle il appelait le Docteur MAR 2.
Celui-ci se rendait immédiatement au chevet de la patiente et prescrivait un scanner en urgence qui objectivait un AVC ischémique sylvien gauche justifiant un transfert rapide au CHU.
La réalisation d’une thrombectomie était écartée au profit d’un essai clinique LASTE et la patiente était transférée en rééducation durant plus de 3 mois.
Elle conserve aujourd’hui des séquelles de son AVC.
Expertise et verdict au cœur du débat
Une demande d’indemnisation était déposée par la patiente devant la Commission d’indemnisation des accidents médicaux qui désignait un collège d’experts, spécialisé en ORL, et chirurgie maxillo-faciale et en neurologie.
À l’issue d’une première réunion d’expertise, les Experts adressaient leurs conclusions expertales aux termes desquelles ils validaient la prise en charge dont avait bénéficié la patiente et concluaient à la survenue d’un accident médical non fautif.
Après examen du dossier, la Commission sollicitait un complément d’expertise auprès des Experts désignés et leur recommandait de s’adjoindre le concours d’un sapiteur spécialisé en anesthésie réanimation.
C’est dans ces circonstances qu’une nouvelle réunion d’expertise était organisée en présence de l’ensemble des parties et qu’un nouveau rapport était déposé au terme duquel les Experts revenaient sur leurs premières conclusions et considéraient finalement que l’arrêt de l’aspirine 5 jours avant l’intervention n’était pas été conforme :
« La prise en charge en préopératoire n’est pas conforme aux règles de bonnes pratiques. En effet, la prévention secondaire par aspirine aurait dû être poursuivie en per opératoire. La patiente était traitée en prévention secondaire par aspirine pour un accident ischémique transitoire survenue en 2016. La chirurgie de la thyroïde n’est pas considérée comme une chirurgie à risque hémorragique élevée. Il était donc indiqué de poursuivre cet antiagrégant plaquettaire, car la balance bénéfice/risque était donc en faveur de la poursuite du médicament au vu du risque de survenue d’un accident vasculaire cérébral, conformément aux recommandations formalisées d’experts. »
Les experts retiennent un manquement fautif aux règles de l’art avec un arrêt de l’aspirine non recommandé en préopératoire de cette chirurgie de la thyroïde. Ce manquement a eu une incidence sur le dommage et constitue une perte de chance qui est évaluée à hauteur de 22,5% ».
Dans son avis, la CCI a fait siennes les conclusions expertales et n’a pas suivi nos arguments quant à l’absence d’AIT et donc à la justification d’un arrêt de l’aspirine par le Docteur MAR 1.
La prise en charge de l’AVC par le Docteur MAR 2 a été, quant à elle, jugée conforme par la Commission.
En définitive, la Commission a retenu un accident médical non fautif indemnisable à hauteur de 75% au titre de la solidarité nationale et une perte de chance de 25% à l’encontre du Docteur MAR 1.
Ce qu’il faut retenir : traçabilité et décisions médicales sous contrôle
La question de l’antécédent d’AIT a longuement été débattue lors des opérations d’expertise puisque l’application des recommandations de la SFAR 2018 concernant l’arrêt de l’aspirine 5 jours avant une chirurgie à risque hémorragique intermédiaire dépendait de cette qualification.
Lors de la première expertise, les experts avaient entendu nos arguments selon lesquels la patiente avait décrit un simple malaise avec bilan négatif ne correspondant pas à la définition d’un AIT et de ce fait ne justifiant pas le traitement au long cours par l’aspirine.
Le Dr MAR1 avait ainsi considéré que le risque hémorragique était supérieur au risque d’AVC et justifiait ainsi sa prescription.
Malheureusement et lors de la seconde expertise, les experts sont revenus sur les recommandations de la SFAR et ont écarté cet argument en insistant sur le fait qu’il était noté lors de la CPA et dans le questionnaire d’anesthésie : « AIT » et qu’il n’existait aucune traçabilité d’une discussion collégiale et d’une analyse bénéfice/risque permettant de s’écarter de ces recommandations.
Ainsi, et dans l’hypothèse d’une déclaration d’AIT antérieur, soit il convient d’en tirer les conséquences et d’appliquer les recommandations en vigueur, soit on doit être en mesure de rapporter la preuve qu’on a interrogé et investigué de telle façon à ne pas pouvoir le considérer comme tel.
S’il est toujours possible de s’écarter des recommandations en vigueur, il est cependant indispensable de pouvoir démontrer le raisonnement médical et les discussions collégiales ayant permis de s’en écarter.
Le maitre mot reste donc la TRAÇABILITÉ !
Laure SOULIER
Avocat associé
Cabinet AUBER