« Plainte en altitude » – Les tribulations médico-légales du Dr TAMALOU, épisode 4

Plainte en altitude

Parenthèse en haute montagne… jusqu’au coup de fil  

Altitude 1 800. Le ciel était limpide sur le massif de Belledonne. Une carte postale. Ce GR738, le Dr Tamalou en rêvait depuis des mois. La traversée, plus qu’une randonnée, était pour lui un moment suspendu. Une parenthèse méditative. Pas une performance, juste un chemin. Le sien. 

Ce matin-là, il était parti avant l’aube. À dix heures, la chaleur montait. Il s’arrêta sur un replat rocheux, sortit sa gourde et s’assit face au panorama. Pour une fois, il ne pensait pas à ses patients. 

Jusqu’à ce que son téléphone vibre. 

— Christina ? 
— Docteur, excusez-moi de vous déranger pendant vos vacances… 
— C’est vrai que là, tout de suite, j’étais en pleine détox digitale. Mais je vous écoute. 

La secrétaire hésita, puis expliqua : un courrier venait d’arriver au cabinet. Mme Julie Gambette venait de déposer une plainte auprès du Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins. Le nom fit surgir un souvenir immédiat. 

Une consultation, un doute… une réorientation 

— Ah oui. Je me souviens. Très bien même. 

Début mai. Patiente arrivée en retard, sans excuse. Ton sec, regard pressant. Elle exigeait une intervention avant l’été, « pour avoir des jambes présentables à la plage ». Lui, avait posé un cadre clair : il fallait d’abord un échodoppler. Elle était repartie contrariée, l’air fermé. À la fin de la consultation, il avait eu ce pressentiment : la relation thérapeutique serait trop compliquée. Pour assurer la suite de sa prise en charge, il lui avait donné les noms et coordonnées de confrères.  

— Merci Christina. Transférez le dossier à mon assureur, Branchet. Et bonnes vacances à vous. 

Ordre des Médecins : réaction rapide, réponse posée  

En fin d’après-midi, une fois arrivé au refuge Jean Collet, il appela Mme Juris Prudence, juriste chez Branchet. 

— Ce n’est pas exactement le genre de courrier que j’imaginais recevoir dans les Alpes… 
— Je comprends. Mais pas de panique. Il s’agit d’une procédure disciplinaire ; il n’y aura pas de sanction si les règles déontologiques ont été respectées. 

Elle lui demanda un récit circonstancié de la consultation, puis s’assura qu’un courrier avait bien été adressé au médecin traitant. C’était le cas : sur ses conseils, Tamalou avait écrit noir sur blanc qu’il recommandait à Mme Gambette de consulter un confrère. Un détail décisif – la continuité des soins était assurée et tracée. 

Après l’appel, il reprit ses topocartes pour préparer l’étape du lendemain. Belledonne, malgré tout, gardait ses vertus. Ce soir-là, il retrouva autour de la table du refuge un couple de randonneurs croisés trois ans plus tôt sur le chemin de Stevenson. Les retrouvailles furent simples, chaleureuses. Le dîner copieux. Et le génépi local fit son œuvre. 

Réunion de conciliation : entre diplomatie et précision  

Quelques jours plus tard, une réunion de conciliation fut programmée pour la rentrée. Mme Juris Prudence l’y prépara minutieusement : rester factuel, adopter un ton pédagogique, ne pas juger. Ce n’est pas un tribunal, mais une discussion avant que la véritable procédure disciplinaire ne débute, un retrait de plainte est notre objectif premier. Le ton compte autant que le fond. 

En septembre, revenu de son périple alpin avec des images plein la tête, il se mit en condition à l’approche de la réunion de conciliation. Le jour venu, Tamalou arriva calme. Il expliqua son refus d’intervenir sans bilan préalable, rappela l’absence d’urgence et la réorientation vers d’autres praticiens.  

Madame Julie Gambette, elle, refusa de retirer sa plainte. Mais le Conseil Départemental de l’Ordre choisit de ne pas s’y associer. Le dossier fut donc automatiquement transmis à la Chambre Disciplinaire de Première Instance

Décision rendue : plainte rejetée  

Branchet missionna un avocat spécialisé. Un mémoire en défense fut rédigé avec rigueur : absence de manquement, respect de l’article 47 du Code de déontologie médicale, continuité des soins assurée. Tout y était. 

Quelques mois plus tard, la décision tomba : plainte rejetée. Aucune sanction. Aucune inscription au tableau ordinal. 

Sur son carnet, le Dr Tamalou griffonna : 

« Expliquer. Tracer. Réorienter quand la relation ne peut pas s’installer. Ce n’est pas fuir. C’est protéger le soin. Et se protéger, soi. » 

L’Ordre du jour 

Petit précis (non disciplinaire) de procédure ordinale 

Quand un médecin reçoit un courrier du Conseil de l’Ordre, il ne s’agit pas forcément d’une sanction. La procédure ordinale est distincte du judiciaire. Elle relève de la déontologie médicale, pas du code pénal ni du code civil. 

Elle peut être initiée par un patient, un confrère, ou toute personne estimant qu’un médecin a manqué à ses obligations professionnelles (écoute, respect, information, continuité des soins…). 

Les 2 grandes étapes : 

  • Étape 1 – La conciliation 
    Le Conseil Départemental de l’Ordre propose d’abord une réunion amiable entre les parties. Objectif : s’expliquer, poser les faits, éviter l’escalade. Dans beaucoup de cas, cela suffit à désamorcer. 
  • Étape 2 – La Chambre disciplinaire 
    Si la plainte est maintenue, elle est transmise à la Chambre Disciplinaire de Première Instance, une juridiction propre à l’Ordre. Elle peut décider de rejeter la plainte ou de sanctionner le médecin (avertissement, blâme, suspension temporaire, radiation).