Péri-opératoire en urologie et responsabilité médicale

Péri-opératoire en urologie et responsabilité médicale

Toujours plus d’obligations professionnelles !

La chirurgie est de plus en plus encadrée, ce qui implique une adaptation régulière de la pratique et une plus grande vigilance dans la connaissance des nouvelles obligations réglementaires ciblant notamment l’ensemble de la période péri-opératoire.

Un jugement de juin 2025 1 du Tribunal judiciaire de Paris en est un premier exemple en ayant engagé la responsabilité d’un établissement et d’un chirurgien plasticien qui avait procédé à la pose d’un implant mammaire sans sevrage tabagique préalable, ni information adaptée sur les risques spécifiques. La patiente fumeuse active avait présenté une nécrose cicatricielle nécessitant une réintervention avec dépose de la prothèse. Le simple questionnaire mentionnant « l’arrêt du tabac » lors de la consultation de chirurgie et d’anesthésie ne suffit pas.L’information obligatoire sur les risques du tabagisme péri-opératoire doit être individualisée, adaptée à l’état de compréhension du patient et tracée ; le délai maximal efficace pour réduire le risque de complications de 50% correspondrait à un arrêt de 6 à 8 semaines avant l’intervention et de 3 semaines après jusqu’à la fin de la cicatrisation du site opératoire. Ainsi, la charge de la preuve de l’arrêt du tabac péri-opératoire relève de la responsabilité du médecin.

Les premières spécialités ou filières à avoir été soumises à des obligations professionnelles sont celles où la variabilité des pratiques et le risque médico-légal étaient les plus élevés, et d’abord l’anesthésie-réanimation dès 1990. L’évolution de la pratique de la chirurgie bariatrique,soumise à des conditions réglementaires du Code de la Santé publique 2, est particulièrement démonstrative avec nécessité de demande d’autorisation préalable, avec des formations chirurgicales diplômantes obligatoires et des seuils minimums d’activité.Des critères d’éligibilité ont été édictés et la prise en charge péri-opératoire des patients doit être réalisée au sein d’équipes pluridisciplinaires. Le bilan comporte une évaluation pré-opératoire nutritionnelle et vitaminique, une évaluation psychologique et psychiatrique. La décision d’intervention est prise à l’issue d’une concertation de l’équipe pluridisciplinaire. Le suivi de cette maladie chronique doit être assuré régulièrement, en raison du risque de complications tardives chirurgicales ou nutritionnelles, imposant la prévention et la recherche de carences et de malnutritionprotéino-énergétique. La jurisprudence a suivi : des chirurgiens ont été déclarés responsables d’indications opératoires non justifiées ou n’ayant pas respecté le délai pré-opératoire de 6 mois, de bilan initial incomplet, d’absence de RCP, de complications ayant conduit au décès, mais aussi de failles dans le suivi avec mauvaise prise en charge de carences. Les patients sont aujourd’hui de plus en plus orientés vers des centres experts offrant une prise en charge globale et intégrée, ce qui avec l’évolution des techniques a entraîné une baisse de la sinistralité et des contentieux médico-légaux de cette chirurgie lourde à risques et pour laquelle les patients ont de grandes attentes sur les plans physique et psychologique.

Les professionnels de santé sont donc exposés à être sanctionnés pour une non-conformité des pratiques comme pour la méconnaissance des recommandations ou des obligations qui leur incombent.

Qu’en est-il pour Urologie ?

La base de déclaration 2024 des évènements indésirables associés aux soins de la HAS 3 fait état d’une sinistralité conséquente. Elle recense 9 661 EIAS dont 161 événements indésirables graves avec un niveau de gravité « grave à critique », dont beaucoup devraient être évités.  Toutes spécialités confondues, les EIG sont liés majoritairement à des erreurs d’équipe ou organisationnelles pré-, per- ou post-opératoires : défaut de communication au sein d’une équipe, mauvaises transmissions d’informations… Les contentieux médico-légaux en urologie sont peu fréquents comparativement à d’autres spécialités ; ils concernent d’abord la chirurgie fonctionnelle et la chirurgie oncologique, de plus en plus contraintes à un cadre réglementaire.

Depuis plusieurs années, les bandelettes synthétiques sous urétrales (MUS)  pour IUE font l’objet de controverses  en raison de complications parfois graves: érosion ou infection, rétention urinaire, hyperactivité vésicale, douleurs pelviennes chroniques. Une publication française récente 4 réalisée sur 215 141 femmes opérées par bandelette sous-urétrale entre 2011 et 2018 rapporte des complications différenciées selon le type de bandelette et la technique utilisée. Ã€ 5 ans, l’incidence cumulative pondérée de retrait ou de section était plus faible avec le TOT (3,25 %) qu’avec le TVT (4,13). Ce risque maximal dans les trois premiers mois s’atténue à moyen terme, puis augmente de nouveau après 5 ans. Ces résultats sont à rapprocher de ceux du registre VIGI-MESH 5 qui enregistre prospectivement les complications sévères des MUS de 2682 patientes dans 27 centres français ; l’estimation cumulée à 2 ans des complications graves était de 2,9 % dans le groupe TOT et de 5,8 % dans le groupe TVT avec un risque de révision plus important pour TOT. Le dispositif réglementaire ayant conduit aux décrets et arrêtés récents (23 octobre 2020 et 25 avril 2025) sur la chirurgie de l’incontinence urinaire et du prolapsus 6est dû à une « class action Â» américaine engagée contre les fabricants et  Ã  une crise internationale liée aux complications des implants pelviens avec la volonté française et européenne d’encadrer plus strictement la pose des bandelettes sous urétrales pour incontinence urinaire d’effort, la pose d’implants de suspension pour le traitement du prolapsus des organes pelviens par voie haute (abdominale / cÅ“lioscopie) et la prise en charge des complications graves post-opératoires. S’y associent des mesures sur la formation, l’information, la concertation pluriprofessionnelle, sur des seuils d’activité minimaux et sur le suivi. Les urologues et les établissements ont dû s’adapter à ce nouveau cadre d’exigences médico-légales. Ces obligations paraissent justifiées si elles apportent un bénéfice certain et concret au patient. Elles entraînent de fait des contraintes spécifiques sur le plan de la formation, de la gestion du temps (RCP), du suivi et elles peuvent aussi engager la responsabilité civile du chirurgien. Une baisse de la sinistralité est attendue du fait d’une meilleure structuration des parcours et de la montée en compétence des équipes.

La chirurgie onco-urologique dépend de mesures réglementaires plus générales liées au traitement du cancer et dont l’objectif est la qualité et la sécurité des soins : conditions d’implantation avec autorisation spécifique délivrée par l’ARS, conditions techniques de fonctionnement avec plateau technique adapté, participation obligatoire des praticiens à une RCP pour tous les dossiers de patients susceptibles de prise en charge oncologique, et aussi seuils d’activité minimale annuelle pour le traitement du cancer. Si on prend l’exemple de la cystectomie totale, chirurgie lourde à risque, le taux de morbidité postopératoire est élevé et au moins une complication survient chez 60 à 70% 7 des patients dans les 90 premiers jours suivant la chirurgie avec une ré hospitalisation dans 30 % des cas. Il s’agit souvent de patients âgés, anciens fumeurs ou fumeurs actuels, avec un indice de comorbidité élevé : risque cardiovasculaire, nutritionnel ; sarcopénie avec diminution de la force et des performances physiques. Le seuil anaérobie est un facteur prédictif indépendant de complications post-opératoires majeures avec un impact sur la durée de séjour. Une intervention chirurgicale comme la cystectomie est susceptible d’entraîner une augmentation significative de la consommation d’oxygène (≥ 50 % par rapport aux valeurs repos) avec un risque accru de décès à 90 jours lorsque la VO2 au seuil anaérobie est < 11 ml/kg/min en préopératoire. La chimiothérapie néoadjuvante aggrave l’impact sur la réserve physiologique, sur la résilience et elle accroit la vulnérabilité physique. Des programmes de pré habilitation 8, 9 permettent de préparer les patients à la chirurgie en réalisant une évaluation multi professionnelle onco-gériatrique, cardio-respiratoire, nutritionnelle et psychologique. L’objectif est d’améliorer la récupération fonctionnelle et de réduire les complications. L’efficacité de la pré habilitation est renforcée par la récupération améliorée après chirurgie (RAAC) et elle a été déjà démontrée en chirurgie cardiovasculaire et en chirurgie colo-rectale. Il n’y a actuellement aucune preuve de l’efficacité de la pré-rééducation et de la réadaptation sur la qualité de vie (QVLS) globale après une cystectomie totale, mais on note un impact positif sur certains aspects de la qualité de vie, notamment la gestion intestinale, la mobilisation et la fonction respiratoire. Les résultats plaident en faveur d’une intervention nutritionnelle entérale avant la chirurgie avec correction de l’anémie et de la sarcopénie. Plusieurs études prospectives randomisées sur la préhabilitation avant cystectomie sont en cours. Des recommandations de bonne pratique RAAC cystectomie 10, incluant des mesures de pré-habilitation ont été publiées en 2017. Si elles n’ont pas valeur d’obligations professionnelles comme en chirurgie bariatrique et qu’elles ne sont pas juridiquement obligatoires, ces recommandations peuvent néanmoins devenir opposables quand leur non-respect ou leur méconnaissance traduit un manquement aux données acquises de la science ou aux connaissances médicales validées.  

Un tournant pour la spécialité

La multiplication des obligations professionnelles en Urologie a des conséquences sur la spécialité, sur les praticiens et leur responsabilité médico-légale. Ces obligations, qui s’inscrivent d’abord dans une logique de sécurité des soins, entraînent une réorganisation professionnelle, les urologues doivent désormais travailler dans des structures agréées pour certaines activités ; la concentration de l’activité vers des centres référents crée des inégalités régionales et une hiérarchie entre établissements. Les compétences sont redéfinies avec une tendance nette à la sur-spécialisation s’expliquant par une exigence de formation spécifique pour certaines techniques (robotique, implants, chirurgie reconstructrice…) et par le coût des nouvelles technologies. Les enjeux médico-légaux sont importants avec l’augmentation de la responsabilité individuelle, de l’obligation d’information du patient sur son niveau de spécialisation, avec une traçabilité renforcée et la contrainte d’une exigence accrue de conformité réglementaire.

Branchet accompagne les urologues dans cette évolution : partage d’expérience, formation, prévention de la sinistralité et valorisation des bonnes pratiques.

Dr Jean-Luc Moreau et Pr Morgan Roupret

Références :
  1. Cour de Cassation 2 juin 2025 – Tribunal judiciaire de Paris – RG n° 23/12526.
  2. Code de la Santé publique – Décrets « réforme des autorisations de chirurgie » (29 déc. 2022).
  3. HAS Évènements indésirables graves associés aux soins (EIGS) : rapport annuel 2024.
  4. Guillot-Tantay C. and al. Long-term safety of mid urethral sling for stress urinary incontinence in women: an emulated trial using French national health data system. eClinicalMedicine Part of The LANCET Discovery Science Volume 87 103411 September 2025.
  5. Armengaud C..et al. Serious complications and recurrences after retropubic vs transobturator midurethral sling procedures for 2682 patients in the VIGI-MESH register.
  6. Am J Obstet Gynecol. 2024 Apr ;230(4) : 428.e1-428.e13.
  7. HAS Évènements indésirables graves associés aux soins (EIGS) : rapport annuel 2024.
  8. Pignot G. et al. Les complications chirurgicales en urologie adulte : chirurgie de la vessie Prog Urol, 2022, 14, 32, 940-952.
  9. Dal Bello S. and al. Nutritional Prehabilitation in Patients Undergoing Cystectomy: A Systematic Review. Nutrients 2024 May 29 ;16(11) :1682.
  10. Bente Thoft Jensen and al. Efficacy of pre and rehabilitation in radical cystectomy on health related quality of life and physical function: A systematic review.
  11. Asia Pac J Oncol Nurs. 2022 Mar 10 ; 9(7) :100046.
  12. Recommandations de bonnes pratiques. Récupération améliorée après chirurgie (RAAC) pour cystectomie. Urofrance – Février 2018.