« Nuit noire sur mer calme » – Les tribulations médico-légales du Dr TAMALOU, épisode 5

Nuit noire sur mer calme

Il avait jeté l’ancre à l’abri d’une petite crique, entre Salina et Lipari. L’eau y était limpide, presque irréelle, oscillant entre le turquoise des lagons et le cobalt profond des abysses. Une mer comme un pouls — tantôt apaisé, tantôt tendu — dont les couleurs reflétaient l’humeur changeante. Ne dit-on pas que la Méditerranée est la plus capricieuse des mers ?

Sur son voilier en bois — un modèle classique au charme discret, coque vernie, accastillage sobre mais élégant — le Dr TAMALOU, allongé, laissait le jazz tournoyer dans l’air chaud. Une cigarette à peine entamée glissait entre ses doigts, un verre de blanc sicilien perlait lentement sous le soleil couchant. Le quinquagénaire se délectait. Le soleil, bas sur l’horizon, étalait ses derniers reflets sur les flancs polis du bateau. Tout autour, le silence, à peine troublé par le clapotis de l’eau contre la coque.

Le calme avant la tempête

Le docteur Tamalou avait quitté Vulcano au matin, longeant les reliefs sombres et fumants de l’île volcanique dans une lumière éclatante. Ce n’était pas un palace flottant — il n’aimait pas ces catamarans trop blancs, trop lisses — mais une embarcation de caractère : bois qui grince, voile hissée à la main, lenteur assumée. Un voilier qui ne fendait pas les flots à coups de moteur, mais avançait au souffle du vent. Une silhouette discrète qui invitait au silence. Qui forçait à ralentir.

Demain, il reprendrait la mer vers Milazzo, où l’attendaient sa femme et ses deux enfants. Puis, cap sur Stomboli. Il avait hâte.

Il était seul ce soir. Seul, mais bien.

Un cauchemar professionnel

Il s’était laissé glisser dans un sommeil calme, la peau encore chaude du soleil de la journée, la brise tiède comme une couverture légère. Le roulis berçait doucement son corps et ses pensées. Puis le rêve s’était invité. Un rêve de garde, de nuit, de téléphone qui sonne trop fort. Un rêve lourd comme une alerte rouge.

Un cauchemar, en vérité.

BIP BIP BIP.

Le bip du scope. Nuit blanche. Odeur d’aseptisé. Lumière blafarde.

— Chambre 412. Saturation à 78 %, TA à 6,2, appel au réa en cours !

C’était flou. Mais il était là. Présent. Il courait presque.

Le patient, lui, partait. Un choc septique fulminant. Antécédents lourds. Comorbidités multiples. Manœuvres de réanimation.

3h41 : arrêt cardiaque.
4h06 : décès constaté.
La pièce était devenue un aquarium vide.

L’annonce d’une plainte

Et là, l’infirmière :
— Docteur, la famille… ils demandent une autopsie. Et la veuve… elle parle de plainte.

Il avait la gorge sèche. Comme si on l’avait vidé de son eau. Il attrapa son téléphone. 04 85 85 85 85. Assistance Branchet. Un réanimateur en ligne. Un infectiologue aussi. Il demandait :
— J’étais de garde et il y a eu un décès en réa… la famille veut porter plainte. Je sais que je ne suis pas fautif, dit-il le souffle court et la voix fatiguée.

– Recevoir la famille. À plusieurs. Une seule voix. Rester factuel. Une parole claire, lui répondit le médecin-conseil avec une voix calme et posée.

Les réflexes à adopter

Les images s’enchaînaient. Réunion avec la famille. Silence. Colère. Puis questions. Des explications données.

Puis la convocation à l’audition de police. Il suait à goutte. Il était comme pris dans un étau.

  • Allô ? Mme Juris… Je crois que j’ai tout fait. Et pourtant, j’ai peur. Peur de finir en prison.

Elle prit le temps. Et la voix, calme :
— Ce n’est pas une faute que d’avoir tout tenté. Ce n’est pas un crime de ne pas pouvoir sauver un corps déjà en train de lâcher.

Le soutien juridique en action

Elle lui déroula les conseils, comme une litanie apaisante :
– Faire une copie complète du dossier médical, au cas où il y ait une mise sous scellés…

  • Etablir un chronogramme des évènements
    – Si audition, ne pas paniquer. Répondre simplement. Relire le Procès-Verbal avant signature.
  • Après l’audition, noter les questions posées par l’Officier de Police Judiciaire et les réponses apportées (le PV n’étant pas remis lors de l’audition). Et toujours nous appeler avant. Toujours.

— Et la prison ? demanda-t-il.

Elle répondit presque en souriant.
— La garde à vue n’intervient que s’il y a des raisons plausibles de soupçonner que vous avez commis, ou tenté de commettre, un crime ou un délit. L’homicide involontaire, vous savez, ce n’est pas le fait de ne pas avoir réussi. C’est le manquement. L’imprudence. Ce n’est pas votre cas docteur. Ni de près, ni de loin. Rassurez-vous.

L’audition

Puis, l’audition au commissariat. Témoin libre. Une salle nue. Une table. Une chaise. Il racontait. Juste les faits. Ni excuses, ni accusations. Le PV, relu trois fois avant signature. Il tremblait encore. Mais il tenait debout.

Et puis… une phrase. Une voix off. Peut-être celle de Mme Juris. Peut-être celle du vent.
— Plainte classée sans suite.

Retour au reel

Il se réveilla en sursaut. Trempé. Le souffle court.

Il lui fallut quelques secondes pour comprendre : il n’était pas à l’hôpital. Pas d’appel en pleine nuit, pas de garde, pas de plainte. Juste le balancement lent du bateau, la mer paisible autour de Lipari, et le premier rayon du soleil filtrant par le hublot entrouvert. Une brise tiède lui caressa le visage. Il respira longuement.

Il s’assit sur sa couchette et, machinalement, prit son carnet de bord. Il écrivit d’une main encore fébrile :
« Un médecin a des obligations de moyens, pas de résultats. Il faut prendre du recul. Tout ne repose pas sur moi. »

Il pensa à l’importance de savoir dire, même quand on n’a pas pu guérir. À l’énergie que cela coûte. À la solitude qui guette. Il se rappela cette formation suivie il y a deux ans sur l’annonce des événements indésirables graves — une journée marquante, presque salutaire. On y parlait d’écoute, d’authenticité, de protection… et de résilience.

Il referma son carnet.

Aujourd’hui, il lèverait l’ancre pour Milazzo. Là-bas, il retrouverait sa femme et ses enfants, impatients de prendre le large. La suite du voyage pouvait commencer.

Et à vous qui avez suivi les aventures du Dr TAMALOU, bel été et bon vent !

Focus : Ce qu’il faut savoir sur la procédure pénale

La procédure pénale est heureusement rare dans la vie d’un médecin. Elle peut être déclenchée par une plainte d’un patient ou de ses proches, souvent après un décès ou un événement grave.

Contrairement aux idées reçues, être entendu dans ce cadre ne signifie pas nécessairement être mis en examen et ainsi risquer une sanction pénale.

  • Le plus souvent, le médecin est auditionné dans le cadre d’une audition libre.
  • Une garde à vue n’est décidée que si des indices sérieux laissent penser à une faute pénale, comme un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence.

Exemple : l’homicide involontaire n’est pas le fait de ne pas avoir pu sauver, mais de n’avoir pas fait ce qui était attendu (négligence, imprudence, etc.).

Dans ce contexte, il est essentiel de :

  • Garder une traçabilité complète du dossier médical.
  • Donner aux proches une information claire et loyale.
  • Être préparé à l’éventualité d’une audition (appui juridique et conseils en amont).

Bon à savoir : dans de très nombreux cas, aucune infraction n’est retenue. La procédure vise avant tout à établir les faits et parfois, elle a pour conséquence indirecte d’aider les familles à comprendre. La commission des usagers, organisée au sein des établissements, joue aussi un rôle important dans cette médiation famille/patient – professionnels de santé.