L’assistance chirurgicale en situation d’urgence : comment se prémunir du risque médico-mégal ?

opération par un chirurgien urologue

Cet article attire votre attention sur votre responsabilité lorsqu’un collègue en difficulté fait appel à vous au cours d’une intervention ou dans les suites opératoires immédiates, jugeant que votre assistance ou votre avis est requis.
 

  • Peut-on refuser l’aide réclamée et sur quels arguments ?
  • Quelle Traçabilité assurez-vous ?
  • Doit-on faire 2 CRO séparés ?
  • Qui est responsable des suites opératoires et du suivi ?
  • En cas de problème médico-légal, quelle peut être votre responsabilité ?

Tout chirurgien peut être appelé en urgence par un collègue en difficulté pour un avis technique, pour une assistance opératoire ou la prise en charge d’une complication per-opératoire ou post-opératoire précoce. La situation est radicalement différente suivant le degré d’urgence selon qu’il s’agit d’une urgence absolue mettant en jeu le pronostic vital immédiat comme une plaie vasculaire transfixiante par accident de trocart ou d’une lésion digestive ou urinaire, qu’elle soit bien identifiée lors de l’intervention par l’opérateur ou qu’elle soit méconnue et responsable de complication secondaire.
 

Le plus souvent, il vous faut d’abord déterminer la nature de la demande, et un appel direct du chirurgien, de l’anesthésiste, de l’infirmière du bloc ou au mieux un briefing sur site vous permet une première analyse de la situation critique et d’éviter les aléas d’une transmission par personne interposée. Vous pouvez être sollicité dans un contexte de panique, où le chirurgien se trouve dans une « situation tunnelisante », d’aveuglement ou de dépassement de ses compétences ; il vous faut donc rapidement prendre la mesure des problèmes et décider de la solution la plus adaptée en usant de votre expérience, de votre savoir-faire technique et relationnel, tout en prenant en compte le stress de l’équipe. Vous devez être d’autant plus prudent que vous intervenez dans une structure, où vous ne disposez pas du matériel nécessaire, ni de vos aides habituelles. Le personnel est en général sous la subordination juridique de la clinique, mais il faut rappeler qu’au bloc-opératoire, le chirurgien a autorité sur le personnel infirmier et qu’il est responsable des instructions qu’il lui donne.
 

Il vous appartient d’apprécier l’utilité et l’urgence de votre concours en fonction de l’analyse de la situation à risque, de votre disponibilité et de vos compétences, mais sachez que votre décision engage votre propre responsabilité et non celle de l’hôpital quand vous êtes de garde, d’astreinte ou lorsque le chirurgien demandeur n’a pas d’autre recours, « toute défaillance pouvant relever de la mise en danger délibérée de la personne d’autrui * ». Le Code de la santé publique dispose aussi que « tout médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril ou, informé qu’un malade ou un blessé est en péril, doit lui porter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires ** ». Le statut de remplaçant doit inciter à une vigilance particulière et à la couverture assurantielle nécessaire.
 

Intervenir en urgence ou pour une chirurgie réparatrice secondaire à la demande d’un collègue ne vous prémunit en rien d’une mise en cause, quel que soit le résultat de vos actes. Il est très fréquent que le patient ou ses ayant-droits demandent à la CCI la convocation en expertise contradictoire de tous les intervenants du parcours de soins. Cette assignation lorsque vous êtes venu « au secours » d’un collègue peut vous paraître paradoxale, injustifiée et elle vous oblige à déprogrammer vos activités, mais il est très important que vous soyez présent à l’expertise pour apporter toutes les précisions nécessaires et vous permettre d’être assisté au mieux par le binôme avocat/médecin-conseil de votre spécialité. Il paraît toujours difficile d’anticiper le déroulement d’une expertise et du système de défense des différentes parties, susceptibles de rechercher une responsabilité partagée en mettant en cause votre indication ou votre maîtrise technique. Les conditions du suivi post-opératoire sont à définir précisément avec le chirurgien référent et les autres intervenants, car les suites de votre propre intervention peuvent aussi vous engager personnellement sur le plan médico-légal. Le partage des responsabilités est déterminé in fine par l’expert.
 

Lorsque vous êtes contacté en urgence pour un patient sous AG ou non en état de communiquer, il est important de l’informer en post-opératoire (les parents s’il s’agit d’un mineur ou la personne de confiance) de la nature de votre intervention et des conséquences potentielles. Au mieux en coordination avec le chirurgien qui a fait appel à vous. Il est tout aussi important de tracer les différents échanges et horaires (appel téléphonique, présence en salle d’opération, visites post-opératoires…) et d’établir un CRO spécifique et exhaustif, précisant les circonstances de votre intervention. La traçabilité la plus complète possible de vos faits et gestes est capitale dans ce type de contentieux. Lorsque la situation est à risque médical et médico-légal et que votre responsabilité peut être engagée, il vous est fortement conseillé de contacter votre assureur et par là même, le pôle médical de votre spécialité afin de vous conseiller sur les démarches à entreprendre. Quand vous êtes sollicité dans un établissement où vous n’avez pas de contrat d’exercice ou qui ne dispose pas de convention avec le vôtre, le caractère d’urgence de votre intervention prévaut sur toute autre considération, mais cette situation doit vous inciter à vous protéger au mieux.
 

Personne n’est à l’abri d’une complication imprévue, voire inévitable. La meilleure protection est de disposer d’un environnement hospitalier favorable, permettant le compagnonnage et la multidisciplinarité dans la prise en charge de situations complexes. Un EIAS grave et la perspective d’un contentieux sont toujours des épreuves difficiles pouvant avoir un retentissement psychologique sévère. Le debriefing en équipe ou lors d’une RMM permet une analyse collective, il facilite la déculpabilisation et réduit le risque de « seconde victime » au sein de l’équipe chirurgicale.
 

* Article R.4127-47 du Code de la santé publique
** Article R.4127-9 du Code de la santé publique

 
 

Jean-Luc Moreau, Chef du pôle Urologie Branchet

Voir aussi :

Votre spécialité : chirurgie urologique

Publié le 2 novembre 2020. Dernière mise à jour le 17 août 2022