Sécurité du patient : attention à la chute

Personne avec le bras bandé chez le médecin

Au bloc opératoire, le chirurgien et l’anesthésiste disposent de compétences propres qu’ils mettent en œuvre au service du patient et pour lesquelles chacun est responsable. La clinique, elle aussi doit respecter des mesures et mettre en place des protocoles pour assurer la sécurité du patient.

En effet, en cas de complication ou d’accident faute d’aléas thérapeutique et si les praticiens ont agi dans le respect des règles de l’Art, l’établissement devra répondre de ses manquements.

Les faits médicaux

En 2012, une patiente, âgée de 37 ans et présentant un IMC de 40, souffrait d’une insuffisance veineuse superficielle pour laquelle elle avait déjà bénéficié d’une intervention chirurgicale. Une reprise chirurgicale devait être réalisée en raison d’un écoulement persistant.

L’opération consistait en un parage de la cicatrice jambière droite. Elle était réalisée par le Dr CHIR et l’anesthésie générale assurée par le Dr MAR.

Au cours de l’opération, alors qu’elle était installée sur une table d’opération inclinée d’une quinzaine de degrés, la patiente chutait de la table générant un traumatisme crânien et un arrachement osseux sous-chondraux de l’articulation acromio-claviculaire droite.

Le rapport d’expertise judiciaire

L’Expert spécialisé en médecine générale ne retenait aucun manquement à l’encontre des Docteurs CHIR et MAR en lien avec la chute de la patiente de la table d’opération :

« Les actes et les soins prodigués à la patiente par les Docteurs CHIR et MAR à la Clinique semblent avoir été attentifs, diligents et conformes aux règles de l’art et aux données acquises de la science à l’époque des faits.
(…)
Les collections hémorragiques cérébrales dont a été victime la patiente sont en relation directe et certaine avec sa chute mais sa chute ne constitue pas un manquement thérapeutique de la part des médecins qui l’ont prise en charge.
(…)
Enfin, nous pensons pouvoir estimer raisonnablement que le Docteur CHIR a agi de manière conforme aux données de la science et que la chute dont a été victime la patiente n’est pas un manquement de sa part.
(…)
En tout état de cause la chute d’un patient d’une table d’examen est évidemment parfaitement anormale. Il ne s’agit pas d’un accident médical non fautif mais d’un accident commun ».

Les débats et Le jugement

Malgré un rapport d’expertise écartant toute responsabilité des Docteurs CHIR et MAR, la patiente poursuivait sa démarche indemnitaire. Elle assignait non seulement l’établissement, mais également les deux praticiens afin d’obtenir l’indemnisation des ses préjudices.

Il a été développé devant le Tribunal l’argumentation qui suit :

  • La Check-list « sécurité du patient au bloc opératoire » prévoit la vérification avant l’induction anesthésique « du mode d’installation » préconisé et que « l’équipement / le matériel nécessaires pour l’intervention soient vérifiés et adaptés au poids et à la taille du patient », une nouvelle vérification de l’installation devant être faite avant l’incision.
  • La check-list doit être renseignée, après partage des informations, entre les membres de l’équipe et engage ainsi la responsabilité de chacun des signataires, soit le chirurgien, l’anesthésiste et l’établissement de santé.
  • Si la survenance d’une chute au bloc opératoire évoque généralement la responsabilité des médecins et de la Clinique, encore faut-il établir un défaut de surveillance et ou un défaut de collaboration entre eux.

En l’espèce, la situation était sensiblement différente.

Durant l’intervention, la patiente était placée en decubitus dorsal avec une légère inclinaison de la table chirurgicale d’une quinzaine de degrés vers le chirurgien afin de lui permettre un abord correct sur la jambe droite. La patiente était sanglée à la table par des velcros et c’est en fin d’intervention que le matelas fixé par du velcro au châssis métallique de la table opératoire s’est détaché de celui-ci et a ainsi entraîné la patiente dans sa chute sur le chirurgien qui n’a pas été en mesure de la retenir.

Il ne s’agissait pas ici d’une chute pure et simple de la patiente de la table par un défaut de surveillance, mais d’un « démontage » soudain de la table d’intervention sur laquelle la patiente était installée durant l’opération, entraînant le matelas et la patiente dans sa chute.

La patiente reprochait à ce titre l’absence d’installation de mesures de précaution supplémentaires telles que des sangles ou bordures de sécurité qui auraient permis d’éviter sa chute.

Nous avions précisé au Tribunal que la mise en place de cale ou d’appui n’est pas recommandée ni obligatoire dans ce type de chirurgie de parage et de suture d’une cicatrice de phlébectomie dans la mesure où cela entraîne une gêne pour l’opérateur. Et qu’en tout état de cause ces mesures de protection sont parfaitement dépourvues de lien avec la chute dès lors que celle-ci n’est due qu’à un dysfonctionnement du matériel lui-même. Des barrières de sécurité supplémentaires n’auraient pas empêché la chute puisque c’est le support même de la table d’intervention qui s’est désolidarisé du reste…

La Clinique, qui cherchait à se dégager d’une responsabilité pleine et entière, indiquait qu’elle mettait à la disposition des chirurgiens deux types de tables d’opération selon le poids des patients et qu’il incombait chirurgien de choisir la table adaptée à son patient.

La Clinique était cependant dans l’impossibilité de rapporter la preuve de cette allégation, contestée par les praticiens.

Nous insistions surtout sur le fait que la chute de la patiente était en l’espèce parfaitement indépendante de l’utilisation d’un modèle de table plutôt qu’un autre, dès lors que les matelas étaient fixés par le même procédé de bandes velcro pour les deux types de table, sans renfort supplémentaire, et que les praticiens avaient pris l’ensemble des précautions nécessaires et respecté les règles de bonnes pratiques médicales.

Le Tribunal a suivi notre argumentation et a considéré aux termes de son jugement devenu définitif :

« (…) La corpulence de la patiente imposait au Dr CHIR mais également au Dr MAR de s’assurer que l’opération se déroulait dans des conditions adaptées à celle-ci. A ce titre, le fait qu’elle ait été sanglée à la table confirme que des dispositions ont été mises en œuvre pour éviter sa chute.

En revanche, la mise à disposition d’une table adaptée à la corpulence de la patiente relevait des attributions de la Clinique. La chute de la patiente de la table révèle le caractère inadapté de celle-ci à sa corpulence, ce que les personnels de la Clinique en charge de la préparation de la salle d’opération ne pouvaient ignorer. Ainsi, la Clinique a commis une faute et sa responsabilité doit être engagée. En revanche, en l’absence de faute, les responsabilités des Docteurs CHIR et MAR seront écartées ».

Conclusion

La sécurité du patient en salle d’opération est primordiale et incombe à chacun des membres de l’équipe médico-chirurgicale présente au bloc, quelle que soit sa spécialité et sa qualification, ainsi qu’au personnel infirmier de bloc salarié de la Clinique.

Si dans cette affaire, nous avons pu mettre hors de cause les Docteurs CHIR et MAR, c’est parce que nous avons pu démontrer que la chute ne relevait pas d’une installation non conforme aux règles de l’art ou d’un défaut de surveillance, mais de la révélation brutale du caractère inadapté du matériel mis à leur disposition par la Clinique, et impliquant donc l’entière responsabilité de cette dernière.

S’il est important que les praticiens demandent à l’établissement de leur fournir du matériel adapté aux interventions et aux patients, ils ne peuvent pour autant être tenus responsables d’un matériel défectueux fourni par la Clinique et censé répondre à ces impératifs.

Si la vigilance demeure de mise pour tout le monde, elle connaît cependant ses limites !

Ce dossier illustre en outre l’intérêt pour les praticiens d’être assuré auprès d’une compagnie distincte de son établissement.

Me Laure SOULIER
Me Philip COHEN
Me Clémence REFFUVEILLE
Avocats à la Cour
Cabinet AUBER PARIS